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09/09/2012

La mer est un cimetière

Cela fait parfois la une de nos médias, parfois seulement quelques lignes, quelques reportages et puis on oublie. Des hommes, des femmes, quittent un continent pour un autre, prennent place dans des embarcations qui ne tiennent pas l'eau, et leurs coques deviennent cercueils, et la mer cimetière. Ils ne sont pas marins, juste des hommes et des femmes qui voulaient une vie meilleure, ou tout simplement une vie.

Erri de Luca ne les oublie pas, ils vivent en son coeur et sous sa plume de poète il leur a rendu vie, grandeur et dignité. Son long poème Aller simple est une épopée, en voici une page, tragique, celle qu'il ne faut pas oublier, jamais.

Nous sommes les innombrables, redoublés à chaque case d'échiquier

Nous pavons de squelettes votre mer pour marcher dessus.

Vous ne pouvez nous compter, une fois comptés nous augmentons

fils de l'horizon, qui nous déverse à seaux.

Nous sommes venus pieds nus, sans semelles,

et n'avons senti ni épines, ni pierres, ni queues de scorpions.

Aucune police ne peut nous opprimer

plus que nous n'avons déjà été blessés.

Nous serons vos serviteurs, les enfants que vous ne faites pas,

nos vies seront vos livres d'aventures.

Nous apportons Homère et Dante, l'aveugle et le pélerin,

l'odeur que vous avez perdue, l'égalité que vous avez soumise.

25/08/2012

Les matinaux

A qui se lève tôt et cherche dans la rougeur de l'aurore la trace qui le mènera jusqu'au soir, puis à un autre jour et une autre aurore, on rappelera ces quelques mots de René Char, extraits des Matinaux, souvent cités comme maxime de vie mais jamais souillés par le temps :

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront.

08:37 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)

15/08/2012

Ce que l'on doit aux histoires

Nous qui laissons nos corps et nos envies dériver à l'envie dans les mots de celles et ceux qui en font leur vie, nous aurons à coeur d'apprendre par coeur ce qu'Erri de Luca nous dit de son histoire de raconteur d'histoires :

J'ai encore le temps de voyager,

le bagage léger frapper aux portes

sans posséder de clés.

Je dois ça aux histoires, de me suffire,

moi aussi de leur suffire.

Avec crayon et cahier je peux écrire même quand gèle

l'encre dans mon stylo.

C'est la part qui me fut assignée,

héritage qu'on ne peut recevoir et laisser.

Je suis fait de ça, de pages feuilletées

et puis reposées.

08/08/2012

Géographie du désir poétique

Juste avant l'été est paru en France un recueil de poèmes de Erri de Luca, Aller simple, son second traduit ici. Double bonheur car un nouveau livre de Erri de Luca est en soi toujours une bonne nouvelle, qu'il s'agisse en plus de poésie ajoute un sourire au sourire... En son coeur, on y trouve ce texte simple et beau, la profession de foi de Erri de Luca, sa géographie du désir poétique.

Quand je lis des livres en vers, des livres de poète, chacune de leurs pages ressemblent à une route. Pour moi, un livre de poèmes est une ville. Sur les vers de Brassens et de Rilke, de Dylan et de Brodsky, je me promène, je cours ou bien je m'arrête : je voudrais habiter là.

Je divise en quartiers ces feuilles ajoutées à Aller simple. Elles sont le pays où j'ai essayé d'habiter. Je n'y ai pas vécu seul, si une personne de passage peut dire : moi aussi je me penchais d'un balcon de l'étage supérieur pour regarder dans la rue.

02/07/2012

Tandis que le corps fend l'air...

Courir les bois... Tandis que le corps fend l'air, qu'un bienveillant métronome alimente les foulées et que la sente nous ouvre la forêt, des mots surgissent, que l'on ose à peine formuler : joie, légèreté, vaillance... Le reste c'est André du Bouchet qui l'exprime le mieux :

Un instant, ces mots, je les aurai faits miens. Un instant, j'aurai été à côté de ces mots. Un instant, qui met une lenteur infinie à parvenir, j'ai été, masse d'air en formation, auprès de ces mots, premiers à disparaître.

25/06/2012

L'autre temps

Lui, Christian Bobin, il était là depuis un bon moment, mais en retrait, couvert par quelques aînés à la langue plus ample. Un peu fougère à l'ombre des arbres, dans l'attente... Etrange posture que l'attente, si contraire à notre temps, dont on ne saisit plus les fondements... Mais en-a-t-elle, d'ailleurs ? Alors, Bobin nous parle d'un autre monde, d'un autre temps, mais peut-être encore en nous, peut-être ici...

Vous êtes pressés. Vous êtes essouflés. Vous vous agitez dans tout ce que vous faites comme le dormeur au fond du lit.

Chez vous le temps s'entasse - et puis se fane.

Chez nous le temps se perd - et puis fleurit.

Attendre, c'est ce que nous savons faire de mieux, l'art suprême auquel tous ici s'exercent, enfants comme vieillards, hommes comme femmes, pierres comme plantes.

Caravane de l'attente avec ses deux chameaux, solitude et silence.

Fier navire de l'attente, avec ses deux grandes voiles, solitude et silence.

Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. Il ne commande pas à son attente. Il bouge au gré du vent, docile à ce qui s'approche, souriant à ce qui s'éloigne.

 

14/06/2012

Homme de lettres

Un poète, c'est un totem. Tout le monde devrait s'en trouver un par les temps qui viennent. Un totem pour parler, pour écouter, pour être secoué, pour danser autour, et dormir et rêver dans ses mots... Un totem pour lever le poing, et gueuler et refuser, pour aimer la vie dans les grandes largeurs. Le totem de Vox Poetik, vous l'aurez déjà compris, c''est Henri Michaux. Voici son savoureux portrait (autoportrait ?) d'un Homme de lettres :

Seul,

être à soi-même son pain,

et encore, il s'engrange qu'il dit,

et pète par toutes les fissures.

En blocs, en larmes, en jets et en cristal,

mais derrière le mur des ses paroles,

c'est un grand sourd.

27/05/2012

Désert ou cités

C'est bien connu, les poètes ont souvent des "semelles de vent" qui les emmènent en terres lointaines, ils voyagent, arpentent l'ailleurs qu'ils peuplent de nouvelles lignes... Mais aussi souvent ils reviennent au coeur des cités qui, c'est un fait, les entendent bien mieux que le vide du désert... Cette histoire est celle d'un beau poème d'Andrée Chedid, Désert ou cités, qui s'achève par ces mots :

Je ne sais quel désir

quelle passion ou quelle soif

nous ramènent au monde

au peuplement des cités

au fleuve à l'arbre aux hommes

à l'énigme qui nous féconde

à l'angoisse qui nous taraude

à l'écueil qui nous grandit.

14/05/2012

Le refuge est ténèbres

La ville soudain vous empale, il vous faut l'esquiver. Vous trouvez refuge dans un lieu de silence : temple, église, pierre et lumière, fraîcheur et encens. Quelque chose, inévitablement, transporte, déplace le réel… La parole de Celan surgit alors, la parole d’un survivant, une parole de cendre, un linceul sur le sacré, peut-être la parole la plus terriblement humaine extraite des temps noirs de la guerre... Tenebrae, que l’on peut lire dans Grille de parole.

Nous sommes proches, Seigneur,

proches et saisissables.

Saisis déjà, Seigneur,

engriffés l'un dans l'autre, comme si,

le corps de chacun de nous

était ton corps, Seigneur.

Prie, Seigneur,

prie-nous,

nous sommes proches.

Tout déjetés nous sommes allés,

sommes allés nous courber

vers le creux et le cratère.

Nous sommes allés à l'abreuvoir, Seigneur.

C'était du sang, c'était

ce que tu as versé, seigneur.

Il brillait.

Il nous jeta ton image aux yeux, Seigneur.

Les yeux, la bouche sont si ouverts, sont si vides, Seigneur.

Nous avons bu, Seigneur.

Le sang et l'image qui était dans le sang, Seigneur.

Prie, Seigneur.

Nous sommes proches.

23:30 Publié dans Paul Celan | Lien permanent | Commentaires (0)

01/05/2012

Se souvenir de Celan

Premier Mai, jour du muguet, jour de combat. L'air embaume, le pavé est battu, la ville est parcourue, tensions diverses, bonnes et mauvaises, les temps sont compliqués... Mais pour celles et ceux qui font leur lit de la poésie un premier jour de Mai peut aussi être un jour de souvenir : ce même jour, en 1970, Paul Celan se jetait dans la Seine et n'en ressortait pas... Son oeuvre est une montagne, voici une première sente pour la parcourir, le poème Psaume extrait de La rose de personne.

Personne ne nous repétrira de terre et de limon,

personne ne bénira notre poussière.

Personne.

 

Loué sois-tu, Personne.

Pour l'amour de toi nous voulons

fleurir.

Contre

toi.

 

Un rien

nous étions, nous sommes, nous

resterons, en fleur :

la rose de rien, de

personne.

 

Avec le style clair d'âme,

l'étamine désert-des-cieux,

la couronne rouge

du mot pourpre que nous chantions

au-dessus, au-dessus de

l'épine.

21:53 Publié dans Paul Celan | Lien permanent | Commentaires (0)