29/05/2010
Plein de larmes
Retrouver les mêmes mots chez deux écrivains dont on aime les oeuvres, c'est toujours un mélange de surprise et d'exaltation. Ainsi Henri Calet et Fernando Pessoa : de Calet on lit assez régulièrement, lorsqu'on le cite, les mots qui figuraient à l'ultime page de son dernier manuscrit inachevé, Peau d'ours :
Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.
Et chez Pessoa, on trouve ce ci, perdu au milieu du Cancioneiro, recueil disparate de textes que Pessoa signa sous son propre nom de Pessoa :
Mon coeur fait sourire
Mon coeur plein de larmes.
Après tant de marches et de haltes,
tant d'escales et de départs,
je serai celui qui va arriver
pour être celui qui veut repartir.
Vivre, c'est ne pas réussir.
Autant de mots que Calet aurait pu faire siens...
20:13 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa, calet
23/01/2010
Savoir voir (2)
Avant l'injonction de René Char, toute entière marquée par l'atrocité d'un temps de guerre, Fernando Pessoa sous la plume curieuse d'Alberto Caeiro avait posé la question du savoir voir en des termes un brin plus complexes, une sorte de merveilleuse équation poétique...
L'essentiel est de savoir voir,
savoir voir sans se mettre à penser,
savoir voir quand on voit,
et ne pas penser quand on voit
ni voir quand on pense.
19:22 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa, char
17/01/2010
Enfance
Par la fenêtre d'un train défile un paysage que soudain l'on reconnaît ou qui nous renvoie comme une fulgurance à un espace de l'enfance. L'expérience est troublante, bouleversante même, et lorsqu'à la faveur du passage du train sous un tunnel on découvre son visage en reflet, on pensera à Pessoa :
Enfant j'étais un autre.
En celui que je suis devenu
j'ai grandi, j'ai oublié.
M'appartiennent à présent un silence, une loi.
Ai-je gagné ou perdu ?
10:11 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa
18/12/2009
Rien ni personne
Entre 1930 et 1935 Fernando Pessoa s'est aussi appelé Fernando Pessoa lorsqu'il composait les pièces du Cancioneiro. Au Portugal comme ailleurs l'époque ne se prêtait guère aux excès de joie et d'optimisme béat, mais à sa manière, cruelle, lucide et dynamique, Pessoa sous son nom propre fit culminer le désenchantement de soi et du monde à des sommets où peu surent le rejoindre. Pessoa ou le grand témoin d'un temps qui fit voler l'Homme en éclats de ténèbres... et ce temps n'est pas fini.
N'espère rien, car rien excepté rien
ne s'obtient par l'espoir
et tu ressemblerais à un homme lançant
des regards sur la route
dans l'espoir que quelqu'un viendra
sous prétexte que la route
est faite pour que l'on y marche
08:20 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa
29/11/2009
L'homme en gabardine
Vous croisez peut-être près de chez vous cet homme à l'aspect falot en complet terne, petit chapeau, lunettes rondes, regard triste et gabardine grise. Un homme parmi les hommes. Vite dépassé, vite oublié. Et pourtant... un jour il fut Fernando Pessoa et sous le nom de Bernardo Soares, il rentrait chez lui, pliait sa gabardine et écrivait Le livre de l'intranquillité.
Je suis les faubourgs d'une ville qui n'existe pas, le commentaire prolixe d'un livre que nul n'a jamais écrit. Je ne suis personne, personne. Je suis le personnage d'un roman qui reste à écrire, et je flotte, aérien, dispersé sans avoir été, parmi les rêves d'un être qui n'a pas su m'achever.
00:21 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa
26/11/2009
Dialogues
Souvent les poètes dialoguent. Sans se voir, sans se connaître, sans même peut-être s'être lus. Ils parlent la même langue, répondent aux mêmes questions, parcourent les mêmes terres. Merveilleuse fraternité des poètes. Ainsi Juarroz se fait ici l'écho des mots d'Artaud (note du 12/11) et de Pessoa (note du 6/11).
Je joue parfois à m'atteindre.
Je fais avec celui que je fus
et avec celui que je serai
la course de celui que je suis.
Parfois je joue à me dépasser.
Je fais alors peut-être
la course de celui que je ne suis pas.
22:00 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : juarroz, artaud, pessoa
22/11/2009
Le gardeur de troupeaux
Le 8 mars 1914, Fernando Pessoa s'appelle Alberto Caeiro. Il s'invente autre, lui qui pense être rien. Pour la première fois d'une longue série, il se glisse dans une pure création poétique, il devient autre pour être moins seul.
Penser dérange comme marcher sous la pluie
quand le vent croît et qu'il semble pleuvoir davantage.
Je n'ai ni ambitions ni désirs.
Etre poète, pour moi, n'est pas une ambition,
c'est ma manière d'être seul.
20:20 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa
06/11/2009
Bureau de tabac
Le 15 janvier 1928, Fernando Pessoa s'appelle Alvaro de Campos. Il écrit Bureau de tabac dont Antonio Tabucchi dira bien plus tard que c'est l'un des deux plus beaux poèmes du monde - l'autre étant Fugue de mort de Paul Celan. Il faudrait citer l'intégralité de ce poème pour lui rendre honnêtement hommage mais son seul début peut avoir valeur de maxime sous laquelle placer toute une existence. La suite, il faut la lire, si possible dans la très belle traduction de Rémy Hourcade aux éditions Unes en 1988.
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.
13:42 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pessoa