24/04/2011
Ceux du livre
Bientôt, peut-être, l'humanité se divisera en deux catégories distinctes et inconciliables : une part saura poursuivre l'indicible aventure de la lecture (peu importe le support, là n'est même plus la question), l'autre part ne lira jamais autre chose que les bandeaux défilant au bas des chaînes d'infos et quelques publications gratuites et formatées. Ces deux parts ne se comprendont alors peut-être plus jamais. On pourra penser ensuite à ces quelques mots d'Enrique Villa-Matas et les regretter amèrement :
Que sommes-nous après tout, qu'est chacun de nous, sinon une combinatoire, différente et unique, d'expériences, de lectures et de rêveries ?
11:19 Publié dans Enrique Villa-Matas | Lien permanent | Commentaires (0)
17/04/2011
Du bleu
Qui d'autre que Jean-Michel Maulpoix et son Histoire de bleu pour parler d'une de ces îles de l'Atlantique où l'on perd un temps le sens du temps ?
Ici l'on traite du commerce incertain des coeurs et de
l'appétit des corps
L'on s'inquiète de l'impossible
L'on regarde le bleu dans les rétines du ciel et de la mer.
L'homme qui s'y baigne est un poème d'iode et de cobalt
L'homme qui regarde la mer est un enfant passible d'amour
20:27 Publié dans Jean-Michel Maulpoix | Lien permanent | Commentaires (0)
03/04/2011
Est poème ceci
Il y aurait un recueil à écrire sur les définitions de la poésie par les poètes eux-mêmes. Car une fois achevée l'époque des chants, des épopées, une fois passée la glorieuse poésie romantique, maintenant que le monde a basculé depuis plus d'un siècle dans un tourbillon d'images et de réseaux, la question est lancinante : que peut la poésie ? Et surtout qu'est-elle ? Kenneth White a son idée :
car est poème ceci -
tout un monde
dense
de faits et de sensations (...)
et aussi
l'effort de saisir et de dire
cela
tout le foisonnant univers
que l'homme quelque fois
si peu
rassemble
20:43 Publié dans Kenneth White | Lien permanent | Commentaires (0)
29/03/2011
La voix Robin
C'est une voix de révolte que celle d'Armand Robin, une voix qui s'éteignit une nuit de 1961 dans un dépôt de la police française. Une voix qu'il serait bon de réécouter un peu plus souvent asséner ce genre de vérité :
Surgi des illetrés, je n'ai eu personne pour m'expliquer
combien il faut mentir pour être sauvé
je veux être, non pas génie, mais ortie piquant la fausseté.
Ma motte de tête en flamme, ma tête incendiée
on ne l'éteindra jamais
Egorgés cri par cri nous sommes tous Maïakovski.
21:47 Publié dans Armand Robin | Lien permanent | Commentaires (0)
24/03/2011
"Un poème bien à moi", dit Fernando Pessoa...
On a déjà évoqué les multiples personnalités poétiques de Pessoa, on a dit l'éblouissement face à ce génie, on sait que sur la mappemonde littéraire, Pessoa est un continent en soi... mais a-t-on vraiment mesuré à quel point cela fut aussi cause de désarroi que d'être autant dans l'esprit d'un seul ? Dans le Cancioneiro, on trouve cet aveu, ce souhait, ce cri...
Je ferai peut-être un jour un poème à moi,
un poème bien à moi, où faire aller mon être,
où dire ce que je sens et ce que je suis,
le dire sans penser, sans feindre et sans vouloir,
comme un vrai lieu, celui où vraiment je me trouve,
où l'on pourrait me voir tel que vraiment je suis.
Ah, mais qui est capable d'être celui qu'il est ?
Qui est celui qu'il est ? Qui ?... Ombres de nous-mêmes,
nous sommes condamnés par nature au reflet.
Mais au reflet, branches irréelles de quoi ?
Peut-être du vent seul qui nous ferme et nous ouvre.
18:00 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0)
06/03/2011
Michaux et Celan
Quand en Avril 1970 Paul Celan met fin à ses jours en se jetant dans la Seine, Henri Michaux écrit Le jour, les jours, la fin des jours qu'il sous-titre Méditation sur la fin de Paul Celan. Il semble qu'il s'agit de la seule dédicace explicite dans l'oeuvre de Michaux. Il est certain que c'est l'un des plus saisissants portraits de l'absolue détresse qui emporte certains d'entre nous.
Sans qu'ils parlent, lapidé par leurs pensées
Encore un jour de moindre niveau. Gestes sans ombres
A quel siècle faut-il se pencher pour s'apercevoir ?
Fougères, fougères, on dirait des soupirs, partout, des soupirs
Le vent éparpille les feuilles détachées
Force des brancards, il y a dix huit cent mille ans on naissait
déjà pour pourrir, pour périr, pour souffrir
Ce jour, on en a déjà eu de pareils
quantité de pareils
jour où le vent s'engouffre
jour aux pensées insoutenables
Je vois les hommes immobiles
couchés dans les chalands
Partir.
De toute façon partir.
Le long couteau du flot de l'eau arrêtera la parole.
23:47 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
23/02/2011
Dans les mots
Antoine Emaz n'a pas son pareil pour mettre à nu les minuscules failles quotidiennes de nos vies. C'est parfois douloureux, mais toujours justes et intenses. Et lorsqu'il rapproche l'hiver du travail du poète, on lui sait gré de rappeler que le minutieux ciselage des mots ne se fait pas crinière au vent... et que c'est peut-être lorsqu'ils sont fouillés jusqu'à l'os que les mots sonnent vrais...
dans les mots
du très peu
dans les mots
seul
toucher l'hiver
déplacer de petites pierres transparentes
à peu près ça
//
tout est si net
les mots se mettent à couper les doigts
---
après
c'est de la nuit
et on ne peut pas
la nuit
avec les mains
07:38 Publié dans Antoine Emaz | Lien permanent | Commentaires (0)
14/02/2011
Des voix enragées
Ils et elles crient, brandissent leurs poings, ouvrent les vannes de leurs colères, enflamment les rues. Et sous leurs cris, le réel vacille. A les voir, à les entendre, on pensera à Jacques Dupin, dans un poème intitulé La Trêve :
Les chiens qui dorment dans ma voix
sont toujours des chiens enragés.
18:11 Publié dans Jacques Dupin | Lien permanent | Commentaires (0)
07/02/2011
Poème, blessure
L'idée que se font les poètes de leur rapport à la matière poétique est toujours singulièrement rassurante sur le rapport qu'on entretiendra en général avec tout ce qui peut sembler essentiel : grosso modo, rien n'est évident et c'est après en avoir bavé (un peu, plutôt, pas mal) que l'on arrive à bon port. Ici c'est Franck Venaille qui nous parle :
D’ici là
La blessure se sera cicatrisée
La souffrance diluée dans l’air
D’ici là nous aurons pris sacs et besaces
Débordant de poèmes à la traîne, blessés
D’ici là
Je dirai : « je suis en équilibre
Entre la beauté des choses
Et son autre face monochrome »
Comment l’appelait-on, déjà ?
ce grand écart sentimental
entre vivre et écrire ?
12:28 Publié dans Franck Venaille | Lien permanent | Commentaires (0)
22/01/2011
La flamme
Vient un instant où il nous faut retrouver la flamme. Cet instant de rien où ce qui est ne semble se révéler que par ce qui fut, où ce qui doit arriver semble ne jamais plus pouvoir advenir. A cet instant Roberto Juarroz a peut-être dédié ce poème :
Le poème convoque la fumée
pour allumer la lampe
Les feux éteints
sont le meilleur combustible
pour les feux nouveaux
La flamme ne s'allume
qu'avec son passé.
23:48 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)