07/05/2014
Mouvements
On ne tient plus en place. Le corps a soif de mouvements. Le corps sort de sa coque de corps, explose. Mystères.
La vaste forêt demeure trop étroite. Et montagnes, encore trop plates. Alors on part dans le grand vent en pensant à Henri Michaux commentant les figures d'encre de Mouvements.
Course qui rampe
rampement qui vole
unité qui fourmille
bloc qui danse
(...)
Adieu fatigue
adieu bipède économe à la station de culée de pont
le fourreau arraché
on est autrui
n'importe quel autrui
On ne paie plus tribut
une corolle s'ouvre, matrice sans fond
La foulée désormais a la longueur de l'espoir
le saut a la hauteur de la pensée
on a huit pattes s'il faut courir
on a dix bras s'il faut faire front
on est tout enraciné, quand il s'agit de tenir
Jamais battu
toujours revenant
nouveau revenant
tandis qu'apaisé le maître du clavier feint le sommeil
23:12 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
02/05/2014
Les livres d'occasion
Les temps sont durs, mais n'abandonnez pas la lecture. Les livres : empruntez-les, donnez-les, laissez-les sur un banc. Pitié pour les libraires, ne les volez pas. Dernière option : suivez ce conseil de Erri de Luca. Il le donne au tout début de Trois chevaux, qui n'est pas un livre de poésie, mais peu importe. De Luca a l'âme d'un poète, c'est un homme droit, farouche et admirable. On peut l'écouter et lui faire confiance.
Je lis seulement des livres d'occasion.
Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d'un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis.
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat. Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.
Ainsi, à midi, au bistrot, je m'assieds sur la même chaise, je demande de la soupe et du vin, et je lis.
21:11 Publié dans Erri de Luca | Lien permanent | Commentaires (0)
29/04/2014
L'impossible
La lucidité... Qu'en disait René Char déjà ?
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
Alors, à quelle brûlure s'est donc exposé Roberto Juarroz, en composant le poème numéro seize de la douzième poésie verticale, et que nous nommerons ici L'impossible ?
Lorsque je manque de lumière,
la lumière me paraît impossible.
Lorsque je me trouve hors du poème,
le poème me paraît impossible.
Lorsque je cesse de te regarder,
tu me parais impossible.
Lorsque je perdrai la vie,
la vie me paraîtra impossible.
Et si je pouvais ne pas penser,
penser me paraîtrait impossible.
Du dehors d'une chose,
cette chose est impossible.
Et du dehors de tout,
tout est impossible.
Mais il y a une exception :
moi-même, du dedans,
je suis aussi impossible.
23:18 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
17/04/2014
Croyances en italiques
Une bonne fois pour toutes : ne jamais lire un recueil de poésie comme on lirait un récit. Le recueil : dernier espace de liberté où toutes les portes sont ouvertes, toujours. Y entrer par la dernière ou la première page, peu importe : si poésie il y a, on la trouvera, elle nous trouvera. Ainsi, on pourrait lire encore une fois Cahier de verdure de Philippe Jaccottet en ne s'attachant qu'aux pages en italiques et en retenir ces quelques croyances.
Allez encore vers ces lacs de montagne qui sont comme des prés changés en émeraudes. Peut-être n'y boira-t-on plus, peut-être est-ce pour cela qu'on les voit maintenant. Il y a des émeraudes dans la montagne comme on y croise des bêtes fuyantes. Et le printemps est poussière lumineuse.
Des êtres jamais vus, comme assis sous des nuages dont le bord serait argenté par la lune.
Montagnes à contre-jour dans le matin d'été : c'est, simplement, de l'eau.
Que la poésie peut infléchir, fléchir un instant, le fer du sort. Le reste, à laisser aux loquaces.
00:03 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
09/04/2014
Au Café de l'Eternité
Délicat d'être poète, portugais et de faire fi de l'ombre tutélaire de Pessoa. Alors autant lui écrire, et tenter de nouer avec lui un improbable dialogue. Ce que fait avec justesse Nuno Judice depuis longtemps, et très explicitement dans un texte intitulé Pessoa, comme il se doit, et qui exprime, peut-être, une merveilleuse parabole du travail poétique.
Là où tu es, sans être jamais revenu de nulle part, sans volonté de partir là où tu n'arriveras jamais, parce que là c'est déjà hier, je te rencontre. Tu me demandes de m'asseoir : et tous deux, à la table d'un des cafés de l'Eternité, nous écrivons des lettres que jamais personne ne recevra.
23:21 Publié dans Nuno Judice | Lien permanent | Commentaires (0)
04/04/2014
Le gardeur de troupeaux
De tous les êtres poétiques dans lesquels Fernando Pessoa s'est coulé, Alberto Caeiro, le Gardeur de troupeaux, est le plus touchant. Comme une fulgurance il a surgi dans la vie de Pessoa le 8 mars 1914, a bouleversé un citadin moderne poète et dépressif qui troqua sa gabardine contre des habits de pâtre et donna à son spleen une bienheureuse simplicité dont l'écho, un siècle plus tard, ne cesse de résonner.
Ce qu'il faut c'est être naturel et calme
dans le bonheur ou le malheur
Sentir comme on regarde,
penser comme on marche,
et au bord de mourir, se souvenir que le jour meurt...
22:08 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0)
21/03/2014
Tard dans la vie
Parfois un poète sent dans l'air une vibration métallique.
Il se sait à la veille d'une infime tragédie.
Ne devinant quel pan de sa vie va se détacher, mais redoutant cet instant, il écrit.
Que peut-il faire d'autre ?...
Parfois il s'appelle Pierre Reverdy. Il a le regard doux, charbonneux et triste. Il écrit Tard dans la vie.
Je suis dur
je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
à rêver sans dormir
à dormir en marchant
Partout où j'ai passé
j'ai trouvé mon absence
je ne suis nulle part
excepté le néant
mais je porte accroché au plus haut des entrailles
à la place où la foudre a frappé trop souvent
un coeur où chaque mot a laissé son entaille
et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
22:03 Publié dans Pierre Reverdy | Lien permanent | Commentaires (0)
11/03/2014
Le Ravin du monde
Contribution orientale, poétique et taoïste à la nébuleuse théorie du genre. Où il est également question de montagne, de vertu (à lire ici au sens de sagesse) et de traversée du temps. Le tout étant attribué à Lao Tseu dans le chapitre 28 du Tao-tö King dans la traduction disponible en Pléiade. Lisons, méditons, agissons.
Connais le masculin,
adhère au féminin,
sois le Ravin du monde.
Quiconque est le Ravin du monde,
la vertu constante ne le quitte pas,
il retourne à l'état d'enfance.
08:03 Publié dans Lao Tseu | Lien permanent | Commentaires (0)
07/03/2014
Notes solaires
Tant pis pour le cliché, mais le soleil sied bien mieux aux pages de René Char que le gris de l'hiver. Sous la lumière et l'azur, certaine notes des Feuillets d'Hypnos deviennent solaires, s'éclairent et chantent autrement. Elles n'en demeurent moins pas riche du mystère et de la tension qui les firent naître au creux de la guerre.
156. Accumule, puis distribue. Sois la partie du miroir de l'univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente.
163. Chante ta soif irisée.
169. La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
182. Lyre pour des monts internés.
212. Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer.
08:28 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)
26/02/2014
La vie du poème
Vous possédez une bibliothèque. Elle contient quelques oeuvres de poètes ? Prenez garde, vous n'êtes plus seul(e) chez vous. Soyez rassuré(e), vous êtes en bonne compagnie. Pour avoir fréquenté en lui-même de nombreux poètes, Fernando Pessoa nous le rappelle et le confirme, les poèmes sont vivants.
Il m'arrive de soutenir qu'un poème est une personne, un être vivant, qu'il appartient, avec une présence corporelle et une existence charnelle, à un autre monde où notre imagination le projette.
22:04 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0)