16/04/2020
Le toast de l'ami italien
À nos fenêtres le soir, un verre à la main, ou le matin dans l'immense silence de l'aube, une plume d'espoir dans la main, des mots tracent une draye et l'on envoie des messages mentaux à des inconnu.es qui ne répondent pas.
Erri de Luca fit la même chose pour l'avènement d'une nouvelle année et ce poème, Précis pour le toast du jour de l'an est dans son indispensable recueil Aller simple.
Sommes-nous à l'aube d'un nouvel an ? d'un nouveau monde ? d'une nouvelle ère ? d'ailleurs, quel jour somme-nous ? le savons-nous encore ?
Alors portons ce toast avec les mots d'un poète, dont certains résonnent étrangement dans ce temps du confinement...
Je bois à celui qui est de service, en train, à l'hôpital,
cuisine, hôtel, radio, fonderie,
en mer, dans un avion, sur l'autoroute,
à qui franchit cette nuit sans un salut,
je bois à la prochaine lune, à la fille enceinte,
à qui fait une promesse, à qui l'a tenue,
à qui a payé l'addition, à qui est en train de la payer,
à qui n'est invité nulle part,
à l'étranger qui apprend l'italien,
à qui étudie la musique, à qui sait danser le tango,
à qui s'est levé pour céder sa place,
à qui ne peut se lever, à qui rougit,
à qui lit Dickens, à qui pleure au cinéma,
à qui protège les bois, à qui éteint un incendie,
à qui a tout perdu et recommence,
à l'abstème qui fait un effort de partage,
à qui n'est personne pour celle qu'il aime,
à qui oublie l'offense, à qui sourit sur une photo,
à qui va à pied, à qui sait aller pieds nus,
à qui redonne une part de ce qu'il a eu,
à qui ne comprend pas les histoires drôles,
à la dernière insulte pour qu'elle soit la dernière,
aux matchs nuls, aux N du loto foot,
à qui fait un pas en avant et rompt ainsi le rang,
à qui veut le faire et puis n'y arrive pas,
et puis je bois à qui a droit à un toast ce soir
et qui n'a pas trouvé le sien parmi ceux-ci.
09:59 Publié dans Erri de Luca | Lien permanent | Commentaires (0)
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