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18/02/2013

Entretenir la main

Faire poésie a depuis un certain temps un «on ne sait quoi » de déphasé. Les poètes contemporains en sont bien conscients, d’où abondance, dans leurs œuvres, d’interrogations sur le pourquoi de l’écrit, le pourquoi du poème. Antoine Emaz mêle une âme inquiète à une plume tranchante. Sa réponse lucide et vacillante livre un émoi pénétrant.

Ecrire, comme si quelquechose devait se jouer un jour ou l'autre à cet endroit.

Alors, on se maintient, on entretient la main. A certains moments, on ne peut davantage.

Quand cela se prolonge, on finit par se demander si ce n'est pas cela, écrire, au vrai.

Dans la nuit, la sonnerie grelotante et persistante annonce un train qu'on ne voit pas.

L'inconsistance : on ne sort pas du pas encore, de l'inexact. On se demande si c'est possible.

Vision triste. On vit, mais au fond, ça n'avance ni ne recule, ça reste là. Ca remue seulement un peu pour, en définitive, rester là.

08/02/2013

Regarder la mer

Sur une plage, sur une grève, au bout d'une jetée de port, sur un ponton, au bord d'une falaise, sur une crique de galet, sur la lande, vous l'avez peut-être aperçu, cet être figé dans un dialogue muet et intense avec l'horizon et les flots.

Dans Une histoire de bleu, livre immense, Jean-Michel Maulpoix l'a également croisé et en fait cet émouvant portrait.

L'un d'entre nous parfois se tient debout près de la mer.

Il demeure là longtemps, fixant le bleu, immobile et raide comme dans une église, ne sachant rien de ce qui pèse sur ses épaules et le retient, si frêle, médusé par le large. Il se souvient peut-être de ce qui n'a jamais eu lieu. Il traverse à la nage sa propre vie. Il palpe ses contours. Il explore ses lointains. Il laisse en lui se déplier la mer : elle croît à la mesure de son désir, elle s'enivre de son chagrin, cogne comme un bâton d'aveugle, et le conduit sans hâte là où le ciel a seul le dernier mot, où personne ne peut plus rien dire, où nulle touffe d'herbe, nulle idée ne pousse, où la tête rend un son creux après avoir craché son âme.

29/01/2013

Membrane

Et la poésie après tout, avant tout, pourrait n'être que cette membrane qui nous sépare, nous protège de l'univers, du réel. Une poche d'absence, une niche de présence. Mais parce que faite de la même matière que cet univers - émotion, affection, infection - elle nous en permet une compréhension plus fine, quasi sensuelle.

Mais ceci n'est peut-être, après tout, avant tout, que la vérité d'un seul poème, Struga de Bernard Noël par exemple...

qu'est-ce que la poésie des langues jetées

du haut d'un pont trois rangs de bouches battantes

de la nuit et des jets de lumière blanche

quelques petits feux au bout des jeunes filles

un torrent bordé de bras qui brassent l'air

les fusées d'une fête où les mots explosent

pétards projetés plus loin que leur portée

métamorphose de matière verbale

une pentecôte a lieu dans chaque oreille

un même remous de parole émouvante

où de la tête au coeur le son devient sens

25/01/2013

Métiers délicats

Réflexions d'un poète sur quelques activités mineures que l'on ne saurait faire sans avoir été averti au préalable de leurs inconvénients majeurs et que, tout compte fait, il serait peut-être préférable d'éviter.

Rien n'indique que Henri Michaux ait pratiqué ces activités mais sa grande lucidité et son immense sagacité feront ici autorité.

La chemise de l'apiculteur pique.

***

Scaphandrier voulant saisir une épingle pleure ou tremble.

***

Vitrier nerveux sans cesse compte ses doigts.

***

Skieur au fond d'un puits.

04/01/2013

Au matin de l'an neuf

Premiers jours de l'année... Considérons qu'il s'agit du matin de l'an neuf et, par une subtile analogie, allons-donc puiser dans Les Matinaux de René Char quelques lignes pour entamer cette nouvelle journée de nos vies sous les meilleurs auspices possibles.

Que l'on s'emploie en 2013 à gravir une falaise, s'initier au trapèze ou entamer une silencieuse ascèse, ces quelques mots du maître de la Sorgue auront peut-être leur utilité.

Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don.

***

Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des noeuds.

***

Enfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux.

 

22:26 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)

31/12/2012

Le secret de Jacques Dupin

Un autre extrait de Fragmes de Jacques Dupin. Le plus bouleversant peut-être. Quelques lignes où un homme, poète, semble livrer, délivrer, son ressort le plus intime : le lien charnel et sensuel qui l'unit à l'écriture.

C'est avec ce secret dévoilé que s'achève cette année. Pour la suivante, qu'elle vous soit, à toutes et à tous, vive, poétique et lumineuse.

Ecrire que tu étais moi, que tu étais nue, que je n'étais rien. que l'ombre d'un ceps, que le délié d'une lettre, que la fleur de givre sur le carreau... qu'une cicatrice inversée, une morsure éteinte... que l'ouverture et le fermoir, - que l'aube d'hiver et la nuit d'été - que la senteur du genêt sur le tumulus au bord du chemin, - que la même phrase à l'infini, reprise, biffée, répudiée - écrite...

26/12/2012

Ecrire

Tracer des signes, à peine ombres de soi, comme on descend à la mine extraire des roches une matière dont on ne sait que faire une fois remonté à la surface. Ecrire n'est parfois qu'avoir la seule sensation de ce geste, une expérience intime liant l'absolu à l'incertain.

Jacques Dupin, dans Fragmes, fouille cette expérience séminale et s'en fait le minéral transcripteur.

Ecrire depuis toujours, pour quelqu'un, pour personne, écrire pour les pierres... écrire pour un inconnu, pour un aveugle, pour un inconnu aveugle...âcre le résidu de ce brasier, de cette fumée, de ce jet de pierres vers l'autre, vers l'ombre de l'autre, vers cet inconnu qui attend. qui est là, qui était là, depuis toujours...

16/12/2012

Perros pour finir

Puisque nous avions entamé 2012 avec lui nous finirons cette année en compagnie de Georges Perros. Il est toujours bon d'achever une boucle avec cohérence et en bonne intelligence. Rouvrons ses inépuisables Papiers collés, le volume 3 par exemple, et comme toujours quelques fulgurances surgissent.

Il n'y a qu'une langue à traduire : la sienne. Reculer le plus longtemps possible les références. Trouver une parole de traverse.

*

Vivre avec un être aimé qui est mort. Le poème, c'est cela, avec les mots.

*

Poète celui qui nous force à lire mot à mot. Qui risque de nous dire l'essentiel, de nous dévoiler le monde, au coin d'un vers, d'une séquence, comme si de rien n'étaient ce vers, cette séquence. Venaient de rien.

10/12/2012

L'astre hors du fourreau

La plus belle posture du poète, sa superbe jamais égalée ? C'est peut-être celle de Philippe Jaccottet dans cette page : défendre un territoire, les mots, comme on défendrait son foyer face aux ténèbres douteuses qui envahissent si souvent notre monde; un foyer de lumière qu'il lui appartient de créer, une source qu'il nous appartient d'entretenir.

Bonheur désespéré des mots, défense désespérée de l'impossible, de ce que tout contredit, nie, mine ou foudroie. A chaque instant c'est comme la première et la dernière parole, le premier et le dernier poème, embarrassé, grave, sans vraisemblance et sans force, fragilité têtue, fontaine persévérante; encore une fois au soir son bruit contre la mort, la veulerie, la sottise; encore une fois sa fraîcheur, sa limpidité contre la bave. Encore une fois l'astre hors du fourreau.

04/12/2012

Continents noirs

 

messager

Dans une salle du Musée d'Art moderne de Strasbourg, les formes noires d'Annette Messager surgissent de la pénombre et font une masse silencieuse sur la mémoire. Le temps se suspend et laisse une voix gronder, monter, surgir... Cette voix met un temps infini à se définir. Mais bien des jours après, on la reconnaît et l'identifie, c'est celle de Paul Celan et des premiers vers de Strette.

Porté

sur le terrain

avec la trace qui ne ment pas :

Herbe, écrite-séparée. Les pierres, blanches,

avec l'ombre des tiges :

Ne lis plus - regarde !

Ne regarde plus - va !

 

Va, ton heure

n'a pas de soeurs, tu es -

es de retour. Une roue, lentement,

tourne d'elle-même, les rayons

grimpent,

grimpent sur un champ noirâtre, la nuit

n'a pas besoin d'étoiles, nulle part

on ne s'inquiète de toi.

19:30 Publié dans Paul Celan | Lien permanent | Commentaires (0)