28/04/2012
L'essentiel
Nausée des discours à la pauvre syntaxe de magazine, des messages publicitaires, des injonctions mercantiles. Partout l'oeil achoppe sur des murs transformés en échoppes. Nos chemins urbains ne semblent plus être bordés que de biens marchands, postés là comme autant de leurres. Alors ? fermer les yeux ? Non, les garder bien ouvert, plus que jamais, relire Roberto Juarroz par exemple, et le suivre dans sa quête :
Le monde regorge
de fantasmes anodins.
Il s'agit de trouver les fantasmes essentiels.
08:38 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
23/04/2012
Pensées sous les nuages (II)
Après tout, pour certains, la poésie n'est peut-être quel le seul récit possible d'une vie. Le commentaire, en filigranes, des silences d'une vie. Une porte ouverte, l'unique, insufflant la parole aux mutiques, aux taiseux, la transformant en rais de lumière. De ces montagnes, Philippe Jaccottet façonne cette porte avec un art consommé de la mesure.
Cette montagne a son double dans mon coeur.
Je m'adosse à son ombre,
je recueille dans mes mains son silence
afin qu'il gagne en moi et hors de moi,
qu'il s'étende, qu'il apaise et purifie.
Me voici vêtu d'elle comme d'un manteau.
Mais plus puissante, dirait-on, que les montagnes
et toute lame blanche sortie de leur forge,
la frêle clef du sourire.
20:40 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
12/04/2012
Pensées sous les nuages (I)
Nuit dans la nuit, le seuil du silence n'autorise qu'un trouble, qu'une onde, qu'une voix. Celle de Philippe Jaccottet par exemple. Elle tient, elle soutient, elle maintient. Après elle, rien... et c'est déjà beaucoup.
Qu'on me le montre, celui qui aurait conquis la certitude
et qui rayonnerait à partir de là dans la paix
comme une montagne qui s'éteint la dernière
et ne frémit jamais sous la pesée de la nuit.
22:21 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
05/04/2012
Poème : phénix d'air
En 1997, Bernard Noël publie Le passant d'Athos long poème-récit d'un séjour entre ciel et terre dans la presqu'île théocratique d'Athos. Chapelet de monastères et de falaises, horizon bleu Egée, lieu vide et plein à la fois, propice à la réflexion. Ce qui est alors pensé, écrit, n'en a que plus de valeur. Ainsi cette définition du poème que l'on gardera en poche pour la ressortir à qui demanderait : "à quoi bon un poème ?"
le poème se fout de l'égalité
des rayons du cercle ou que deux plus deux fassent
fatalement quatre il est d'ailleurs le seul
espace vital où la loi devient folle
mange l'irréversible et retourne la mort
il n'est tel qu'en lui-même que hors de lui
devenu souffle en tête et buée verbale
phénix d'air toujours naissant sur quelque lèvre
20:49 Publié dans Bernard Noël | Lien permanent | Commentaires (0)
31/03/2012
Coquille d'escargot et labyrinthe
Dévoiler l'invisible, fouiller les interstices, tamiser le sombre, rapporter le sourd récit des insomnies, inscrire les sensations dans la mémoire, c'est là le dernier pouvoir du poète, son illusion secrète et vitale. Nous rendre intelligible à nous-mêmes.
Parfois la gloire le rattrape, le fait Nobel et le rend universel, comme Tomas Tranströmer. On le découvre, on entend sa voix, on aime ce qu'elle dit, une nouvelle pièce du puzzle est trouvée...
Il arrive, mais rarement
que l'un de nous voie vraiment l'autre :
quelqu'un apparaît un instant
comme sur une photographie, mais plus distinctement,
avec à l'arrière-plan,
quelque chose de plus grand que son ombre.
Il se tient debout devant une montagne.
C'est davantage une coquille d'escargot qu'une montagne.
C'est davantage une maison qu'une coquille d'escargot.
Ce n'est pas une maison mais cela a beaucoup de chambres.
C'est indistinct, mais subjuguant.
Il naît dans cette coquille, et elle naît en lui.
C'est sa vie, c'est son labyrinthe.
21:06 Publié dans Tomas Transtömer | Lien permanent | Commentaires (0)
25/03/2012
Ciao Tabucchi...
Cette journée baignée de soleil ne pouvait donc être parfaite... Une mauvaise ombre s'est faufilée dans les rues... Antonio Tabucchi est parti, il n'existe désormais plus que dans cette rangée de petits volumes serrés sur l'étagère de la bibliothèque... Les hommages et les commentaires sur son oeuvre ne manqueront certainement pas; ici, simplement il faut savoir qu'il est celui qui a présenté Fernando Pessoa à l'auteur de ces lignes, qui l'en remercie une dernière fois, profondément, et avec émotion...
Je descends et je me mets à marcher, les mains dans les poches, mon coeur bat, je ne sais pas pourquoi, peut-être est-ce l'effet d'une musique boîteuse qui sort de ce café, sans doute d'un vieux gramophone, c'est toujours une valse en fa ou un fado à l'accordéon, je pense : je suis ici et personne ne me connaît, je suis un visage anonyme parmi cette multitude de visages anonymes, je suis ici comme je pourrais être ailleurs, c'est la même chose, et cela me donne une grande peine et le sens d'une liberté belle et superflue, comme un amour refusé.
Extrait d'Anywhere out of the world dans le recueil Petits malentendus sans importance
21:23 Publié dans Antonio Tabucchi | Lien permanent | Commentaires (0)
17/03/2012
L'impossible
Des êtres poétiques inclassables et indispensables sont encore vie : Michel Butel est l'un d'entre eux. Homme de mots, créateur d'espérances, rêveur de papier, il vient d'enfourcher un nouveau cheval de bataille : un journal, L'Impossible, où notre monde, nos vies, les livres, les images, la politique, la poésie vont se chevaucher et se raconter, encore et encore. 20 ans après L'autre journal, Michel Butel est encore en vie et rêve encore : voici son message en guise d'éditorial du numéro 1, un poème... quelle folie, quelle merveille ! Suivons-le !
Nous vivons sans savoir que nous vivons.
Certains dans des couloirs,
d'autres dans les rues, n'importe où.
...
De nouvelles machines s'installent.
Une folle agitation anime
les pièces perdues pas remplacées.
...
Des parents, des étrangers
s'approchent et disparaissent.
Parfois, il y aurait de quoi pleurer.
...
Un jour quelqu'un est mort,
un autre jour c'est une guerre
ou pire que ça - ou quoi encore ?
...
A travers la vitre au loin,
des cris, des conversations.
Pourtant personne ne parle.
...
Une parole, un mot juste,
un simple jeu suffirait,
une interruption.
...
A nouveau, alors, les nuages,
à nouveau un texte,
à nouveau les gouttes du temps.
00:03 Publié dans Michel Butel | Lien permanent | Commentaires (0)
06/03/2012
le vide le plus simple
Saison des tribuns, temps des harangues... Paroles, paroles, paroles, murs de paroles... Torrent de verbes, tsunami de mots, à rendre sourd... et trop souvent l'intelligence plongée dans la fange... Du fond de la bibliothèque une voix murmure, dense et grave : celle de Louis-René Des Forêts, encore un qui a validé que le peu est l'orfèvre du mieux. Pour l'anecdote, recensons ses poèmes : deux, ni plus ni moins. Ecoutons-le dans cet extrait des Poèmes de Samuel Wood, sa parole est rare, sa parole est d'or.
Quitte le lieu natal qui est le royaume du langage et son enfer.
Renonce à te payer de mots qui ne sont que valeurs fausses,
Cesse de les agiter dans ta tête comme un insomniaque
fait en gémissant le compte et le tour de ses déboires.
Parler aura toujours eu trop ou trop peu de sens,
le temps en est révolu comme s'achève celui
de creuser ces vastes fonds derrière toi
à la recherche d'une souveraineté perdue
qui fut autre chose qu'un rêve de l'esprit.
N'aie pas peur d'avoir peur de regagner le vide le plus simple.
21:59 Publié dans Louis-René des Forêts | Lien permanent | Commentaires (0)
28/02/2012
Autopsychographie
Pour clore cette série portugaise, un dernier détour par leur maître à tous, Fernando Pessoa, l'alpha et l'oméga, l'ombre et la lumière de la langue poétique. Ecrite sous son propre nom de Pessoa (que l'on peut traduire par "personne"...), Autopsychographie est une pièce fascinante et déroutante, un miroir trouble dans lequel le poète et le lecteur s'interrogent et s'émeuvent en un même mouvement. Rappelant ainsi qu'en d'autres temps le poème se révéla implacable révélateur des failles humaines tout en demeurant son plus vital baume réparateur.
Feindre est le propre du poète.
Il feint si complétement
qu'il en arrive à feindre qu'est douleur
la douleur qu'il ressent vraiment.
Et ceux qui lisent ses écrits
ressentent sous la douleur lue
non pas les deux qu'il a connues
mais bien la seule qu'ils n'ont pas.
Ainsi, sur ses rails circulaires
tourne, accaparant la raison,
ce petit train à ressorts
qui s'appelle le coeur.
23:58 Publié dans Fernando Pessoa | Lien permanent | Commentaires (0)
26/02/2012
Masque de la vie
Où finit le poème ? Une autre leçon lusophone, un autre poète en son miroir, Jorge de Sena. Derrière ces mots, l'ombre immense, incontournable de Fernando Pessoa. Le poème se nomme Post-scriptum et pourrait s'apposer effectivement au terme d'une improbable et universelle anthologie de la poésie d'hier et d'aujourd'hui.
Je ne serai pas même le réconfort des tristes,
des humiliés ou de ceux en qui bout la rage
d'une vie toute entière peu à peu trahie.
Non, je ne serai certainement rien de ce que l'on garde
ou de ce qui sert,
et je mourrai, quand viendra l'heure, en tête à tête
avec moi-même.
Ce n'est que craintivement, au cours des heures mortes,
que me lira
se cachant de tous et de lui-même,
curieux, celui qui accepte d'imaginer
combien la poésie elle-même est masque de la vie.
21:16 Publié dans Jorge de Sena | Lien permanent | Commentaires (0)