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12/05/2017

Etre un pin

Publiée en 2006, l'anthologie personnelle que Kenneth White concocta pour l'inépuisable collection Poésie/Gallimard porte un titre fort emblématique en ces temps troublés et troublants : Un monde ouvert. C'est donc en hommage à ce titre prémonitoire que se met en place l'extrait de ce jour.

Le fond sonore est l'oeuvre de Momo Wandel Soumah, griot guinéen, Toko; le poète est donc, Kenneth White, né à Glasgow, vivant aux dernières nouvelles en Bretagne, grand voyageur des landes insulaires et de toutes les latitudes; le poème concerné traite des Interprétations d'un pin tordu et porte en exergue ce haïku de Basho : Si tu veux connaître le pin, deviens le pin. Le vin servi est un Faugères 2015, vin de garrigue, de pierres et de vent.

Le décor est posé, le monde de la poésie et de l'émotion ne connaîtra JAMAIS de frontières, vous pouvez savourer.

 

Je vis paisible

mais les vents me prennent pour cible

ma métaphysique est une danse

au coeur de l'existence.

 

Les branches de mon cerveau

vibrent au soleil et au vent

la forêt de mon esprit

est fécondée par la pluie

ma résine est ma raison.

 

Regardez sur le ciel

le pin fou, très réel.

 

 

 

06/05/2017

Un sourire entre les pierres

Ici Paris, tension, convulsion, répulsion. Les yeux brûlent. Le réel s'orne de figures blêmes, parle la langue des blattes, chaque jour beauté mutilée.

On cherche la finesse, on réclame l'intelligence, on voudrait une sérénité inaccessible. Les vivants sont perdus, seuls les disparus parlent au coeur.

Leur silence, leur élégance traversent le temps et sont un baume. Claude Esteban est la voix qui nous caresse. Extrait de Sur la dernière lande.

 

Et peut-être que tout était écrit dans le livre

mais le livre s'est perdu

ou quelqu'un l'a jeté dans les ronces

sans le lire

n'importe, ce qui fut écrit

demeure, même

obscur, un autre qui n'a pas vécu

tout cela

et sans connaître la langue du livre, comprendra

chaque mot

et quand il aura lu, quelque chose

de nous se lèvera

un souffle, une sorte de sourire entre les pierres.

24/04/2017

Du bleu, encore une fois

Il en faudra de l'art, des mots et des notes, pour traverser les rives de l'amer... Et du bleu, du blues, de l'azur, pour recouvrir le gris des fausses espérances, le rouge de la colère et la laideur des drapeaux... Jean-Michel Maulpoix en donne une piste.

Tu as du bleu au bout des doigts.

Tu prends la mer sur des cahiers à grands carreaux où tu traces des lettres rondes qui font des taches. Parfois tu joues de la musique, le dos bien droit, le coeur en larmes, ne sachant guère pourquoi tu trembles ainsi, ni quel plaisir étrange tu goûtes à ce trouble, ni ce que tu attends au juste des mots, ni vers quelles harmonies te conduisent ces passerelles fiévreuses et invisibles sur lesquelles, sans t'en rendre compte, tu as grimpé naguère, et dont tu seras jusqu'au bout le passager docile.

02/04/2017

Dénouer

Puis, après avoir encore une fois confié aux fruits des sarments le soin de donner une mesure aimable aux aiguilles du temps, on ouvre Ce peu de bruits de Philippe Jaccottet, et ce qu'on y lit suffira pour peupler la nuit.

Mais je me redis une fois encore qu'il ne faudrait pas se tourmenter avant le temps, se laisser hanter par ce qui n'est pas encore, si menaçant, si imminent que cela puisse être.

Ecrire simplement "pour que cela chantonne". Paroles réparatrices; non pour frapper mais pour protéger, réchauffer, réjouir, même brièvement.

Paroles pour redresser le dos; à défaut d'être "ravis aux ciel", comme les Justes.

Jusqu'au bout, dénouer, même avec des mains nouées.

 

17/03/2017

Le miracle et le miroir

On accordera aux poètes la seule preuve évidente de l'existence des miracles.

Vous lisez pensivement un recueil, écrit sur un autre continent, et des mots vous sautent au coeur : ce qui est écrit sur la page est votre portrait. Ces mots, vous voudriez les dire, ils sont en murmure dans votre nuit, ils sont en vous et soudain, les voilà, sous la plume d'un autre, dans la voix d'un autre...

Miracle... comment ne pas croire alors en la poésie, miroir universel de l'intime. Place au poème 31 de la quatorzième poésie verticale de Roberto Juarroz.

 

Quelquefois là n'est pas,

nous n'avons pas où déposer les choses

ni non plus où pouvoir les oublier.

 

Nous n'arrivons pas à faire de la place

et accumulons tout à l'intérieur

égarant enfin l'ordre et les signes.

Et nous portons ainsi l'univers sur nous,

avec un poids croissant,

un poids qui à la fin nous écrase.

 

A moins que quelque chose dans l'ombre nous rachète,

mette encore à nos côtés une place

et nous laisse simplement sortir.

08/02/2017

La rose et le nuage

Oubliez le nuage baudelairien, observez le visage de Philippe Jaccottet... Vivant, parcheminé, portant sur sa peau même le récit d'une vie dédiée aux mots. Lui ont répondu, souvent, les fulgurances visuelles de notre monde. Admirable observateur, il s'en est fait le rigoureux traducteur. 

Extrait d'Après beaucoup d'années, (où l'on entendra également en murmures la voix de Paul Celan).

 

Nuages roses, bientôt nuages de suie, comme tout feu. Dernière inflorescence, qui ne pèse ni sur l'horizon ni sur les yeux, dernière douce inflammation, incarnat laissé insaisi; la dernière de ce jour, ou de la vie.

La dernière rose, incueillie.

03/02/2017

Episode 303

Un temps a passé.

Quel temps ? Quel passé ? 

Peu importe les jours, les tempes blanchissent, les rides cheminent, hier secrète demain, mais seul maintenant a la main.

La règle de Vox Poetik n'a pas changé : une pensée à laquelle un poète répond. "Je" n'a pas la parole, seule la voix du poète parle.

Et c'est Roberto Juarroz qui reprend le fil. Quatorzième poésie verticale, poème n°8.

 

On ne peut pas obturer le passé.

 

Tout robinet condamné

continue à goutter 

l'ombre de ses gouttes.

 

Le passé goutte.

 

14/09/2015

Les chants du vin

Précieux recueil que Les Chants d'Omar Khayam choisis et ordonnés par Sadegh Hedayat au début du siècle dernier à Téhéran.

Il propose un irréel voyage dans le temps qui rappelle que les routes et les déserts du Moyen-Orient furent jadis parcourus par des poètes irrévérencieux, en quête de plaisir et ivres de joie de vivre. Que les miasmes du réel s'en inspirent pour retrouver la raison...

Pas de tombe pour moi et pas d'inscription.

Par ma vie au public offrez une leçon.

De vin pur seulement imprégnez ma poussière

et pour la cruche alors qu'on en fasse un bouchon.

***

Une fois mort, lavez mon corps avec du vin,

murmurez pour prière un éloge du vin

et qu'on me cherche au Jour où chacun ressuscite

dans la poussière au seuil de la maison du vin.

***

Lorsque pour boire, amis, vous vous retrouverez tous,

évoquez votre ami, de lui souvenez-vous :

buvez ce même vin que nous bûmes ensemble,

renversez votre coupe et puis songez à nous.

23/08/2015

Dentelles poétiques

La tentation fut grande de stopper sur un compte rond : 5 ans, 300 notes, 60 poètes cités.

L'équation était parfaite mais c'était sans compter sur René Char et les Dentelles de Montmirail.

Un poète, une montagne du Sud, féérie de calcaires et de vignes. Un homme qui marche, bâton en main, mots en tête et les bons comptes s'effacèrent derrière ces fulgurances poétiques.

Aussi le voyage se poursuit, au rythme lent de la contemplation. Imaginons maintenant le pas lourd de René Char, colosse d'argile, laissant glisser son regard sur la roche et le ciel, dialoguant avec la montagne, sa mémoire et un rien d'éternité.

Au sommet du mont, parmi les cailloux, les trompettes de terre cuite des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient comme de petits aigles.

Pour une douleur drue, s'il y a douleur.

La poésie vit d'insomnie perpétuelle.

Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l'entend jamais.

Il n'y a pas de repli, seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.

Dormez, désespérés, c'est bientôt jour, un jour d'hiver.

Nous n'avons qu'une ressource avec la mort : faire de l'art avant elle.

 

 

09:03 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)

26/05/2015

Méditation

L'un des tous premiers jours d'Octobre 1984 Henri Michaux rendit à son éditeur le manuscrit de Déplacements Dégagements et le 19 du même mois son coeur lui fit défaut. Les derniers mots édités de son oeuvre furent ainsi ceux de Postures, quatre poèmes autour du corps et de la méditation. Entre sereine mélancolie et dernière balade au bord des gouffres, l'ensemble en impose par son acuité et donne si furieusement envie d'avoir quatre-vingt-cinq ans que cela en est presque inquiétant. Extrait de Posture privilégiée.

Sous la tête,

les bras interdits de mouvements,

interdits d'interventions

 

Dans la tête

quiétude, harmonie, extension

Au bout le corps repose

 

Rien ne bouge

Plus de battues dans les bois

Plus de clairières

Soustraction

 

Abstinence règne

... savoir se laisser déposséder

L'esprit n'est plus détourné;

n'est plus offert aux distractions

n'en rencontre plus l'envie

Bain sans eau

 

Des provinces sans fin du corps allongé

on est sans nouvelles

 

Par-dessus un immense fleuve,

un pont s'est établi

d'une seule arche l'enjambant,

d'une arche unique se perdant au loin.