01/05/2015
Une brassée d'air
Chaque matin, un poème. Affirmation de la lumière au revers de la nuit. La vie toujours neuve, en trois lignes ou trois pages posées sur la peau du jour.
Les compagnons de l'aube sont toujours moins nombreux, toujours plus intimes. Chaque saison les renforce et l'on se reconnaît jusque dans la buée de leur oeil. Pesée des mots qui deviennent nôtres.
Philippe Jaccottet, première Notes nocturnes dans le recueil Après beaucoup d'années.
Adossé, vermoulu,
à ce pilier à peine moins précaire,
j'aimerais ne plus délivrer que des paroles
qui éparpillent les toits
(car même un toit de paille pèse trop
s'il vous sépare du rucher nocturne).
Je ne veux plus des labyrinthes,
même pas d'une porte :
juste un poteau d'angle
et une brassée d'air.
Déliés les pieds, délié l'esprit,
libres, mains et regards :
alors le deuil nocturne
est entamé par en bas.
10:18 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
31/03/2015
Ecrire, c'est être là.
Il faudrait le composer, et non plus le rêver, ce dictionnaire à unique entrée, dans lequel se déclineraient les multiples définitions, poétiques ou pas, du verbe écrire. A coup sûr celle de José Angel Valente, que l'on trouve dans Mandorle, y trouverait une place de choix.
Car oui, certains jours cela ne fait aucun doute : nous venons de l'obscur, l'écriture y naît et elle devient notre lumière.
Ecrire est comme la sécrétion des résines, non pas acte, mais lente formation naturelle. Mousse, humidité, argiles, limon, phénomènes du fond, et non pas du sommeil ou des songes, mais des boues obscures où fermentent les figures des songes. Ecrire, ce n'est pas faire, mais se loger, être là.
08:34 Publié dans José Angel Valente | Lien permanent | Commentaires (0)
13/03/2015
Dans l'attente
Au seuil des nuages, quand toutes les pensées domestiques ont rendu les armes, avant l'achèvement du jour, on se cherche une pensée valable quatre saisons, un mantra qui saurait dire l'indicible...
Alors, retour aux bases en scrutant l'horizon de Michaux, du côté de La vie dans les plis, pour voir un peu comme ça, si par hasard on n'y figurerait pas, et si Dans l'attente ne serait pas cette pensée...
Un être fou,
un être phare,
un être mille fois biffé,
un être exilé du fond de l'horizon,
un être boudant au fond de l'horizon,
un être criant au fond de l'horizon,
un être maigre,
un être intègre,
un être fier,
un être qui voudrait être,
un être dans le barattement de deux époques qui s'entrechoquent,
un être dans les gaz délétères des consciences qui succombent,
un être comme au premier jour,
un être...
21:29 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
05/02/2015
Marque-page
Il faudrait se souvenir exactement pour quelle raison, dans le Cahier de verdure de Philippe Jaccottet, le marque-page était glissé sur ce poème-là.
Ou pas...
Une nuit, un matin, dans un train, au réveil, à Paris ou ailleurs, le marque-page avait demandé cette pause, pour éprouver sur la durée le corps d'un poème...
Comment il devient fragment même du lecteur, porte ouverte sur la trace d'une rêverie, méditation dans la pénombre...
On a vécu ainsi, vêtu d'un manteau de feuilles; puis il se troue et tombe peu à peu en loques.
Là-dessus vient la pluie, inépuisable, éparpillant les restes du soleil dans la boue.
Laissons cela :
bientôt, nous n'aurons plus besoin que de lumière.
07:34 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
20/01/2015
Lutte
Après le chaos... dans le grand vide de dix-sept corps absents, retrancher les lignes brisées et reprendre corps avec le mouvement...
Après Charlie, la poésie n'a toujours qu'un seul sens : puiser, à la source du monde, le grain des mots qui feront demain, de l'intime à tous...
Et comme Michaux avec ces figures à l'encre qu'il nommait Mouvements, apprendre à vivre avec ces taches, à jamais indélébiles.
Taches
taches pour obnubiler
pour rejeter
pour instabiliser
pour renaître
pour raturer
pour clouer le bec à la mémoire
pour repartir
08:12 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (1)
08/12/2014
Quelqu'un, encore une fois
Parfois, tous les jours se ressemblent, et c'est tant mieux, finalement. Ne pas craindre la répétition, enchâsser sur la même chaîne ces jours de rien qui auront leur grandeur au moment du décompte. Ne pas fuir la répétition, la magnifier, la sereinement conter. Et donc, répéter encore une fois que Claude Esteban écrivit dans La mort à distance le plus implacable et le plus essentiel commentaire sur la beauté de l'existence humaine tout en narrant sa finitude.
Quelqu'un, et c'est n'importe qui, dispose de ma tête comme d'une maison vide, il entre, il sort, il claque chaque porte derrière lui et j'assiste impuissant à ce tintamarre.
Quelqu'un, et c'est peut-être moi, prend mes pensées les plus secrètes et les froisse dans sa main et les recouvre de poussière.
Quelqu'un et beaucoup de temps a passé, traverse lentement la chambre et s'arrête et contemple, sans me voir, le saccage.
Quelqu'un, n'importe où, ramasse les morceaux de mon ombre.
23:28 Publié dans Claude Esteban | Lien permanent | Commentaires (0)
12/11/2014
Poésie pour pouvoir
Pour marquer les cinq ans de Vox Poetik il fallait bien ces quelques semaines de silence et le choix d'un texte emblématique pour relancer la voix, pour l'éclaircir.
Il est là : Poésie pour pouvoir de Henri Michaux. Un ensemble de trois pièces d'une densité rare à travers lesquelles Michaux, au mitan de son existence, entreprend de lutter contre la sourde colère qui le tend et le tord. Il déclare un combat, et en luttant contre s'affirme pour par les mots. C'est une leçon et nous l'apprendrons et nous la suivrons en commençant par la fin, avec les deux dernières strophes d'Agir, je viens.
Equipage de renfort
en mystère et en ligne profonde
comme un sillage sous-marin
comme un chant grave
Je viens
ce chant te prend
ce chant te soulève
ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux
ce chant est nourri par un Niagara calmé
ce chant est tout entier pour toi
Plus de tenailles
plus d'ombres noires
plus de craintes
Il n'y en a plus traces
il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
où était éparpillement, est soudure
où était infection, est sang nouveau
où étaient les verrous est l'océan ouvert
L'océan porteur et la plénitude de toi
intacte, comme un oeuf d'ivoire.
J'ai lavé le visage de ton avenir.
08:08 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
27/09/2014
Henein le matin, suite
Même poème, même émerveillement devant cette faculté à dire en cinq lignes ce qui taraude l'esprit d'une partie de l'humanité, minoritaire on l'espère... Il serait tellement plus simple de ne jamais chercher, ne jamais interroger, ne jamais douter... Henein et les autres poreux sont heureusement là pour celles et ceux qui cherchent, pour les aider à mieux vivre cette quête, quotidienne, muette et nécessaire...
dans les sous-bois du langage
une voix cherche à dire
le premier mot de la journée
comme on cherche sa clé
sur le palier dans le noir
08:52 Publié dans Georges Henein | Lien permanent | Commentaires (0)
20/09/2014
La force de saluer
Ami de Calet, correspondant de Michaux, figure d'un temps littéraire où le silence valait élégance, Georges Henein avait toute sa place ici. Manquaient seuls les mots exemplaires qui lui en ouvriraient les portes, les voilà extraits d'un poème foudroyant, Une éxécution intime. Toutefois c'est le titre du recueil dans lequel il figure qui trace le portrait le plus clair de Henein : La force de saluer. On ne saurait mieux dire...
c'est un instant toujours émouvant
que celui où l'on se demande
certains matins
si l'on va pouvoir reconnaître la vie
si les choses ont gardé la même place
si les places ont gardé le même nom
et s'il reste quelque part un miroir de secours
où l'on cesserait enfin de se voir
où l'on verrait plus loin que soi
08:53 Publié dans Georges Henein | Lien permanent | Commentaires (0)
08/09/2014
Vigie des roches
On ne lit bien, finalement, que ce qui réveille en nous une mémoire vive... on en retient le regard partagé, la mesure d'un monde qui nous rassure. Comme on ne vit bien que dans le droit fil d'une émotion retrouvée, reconnue, reçue, redonnée... Est-ce bien cela que veut dire Philippe Jaccottet, en se posant ici comme vigie des roches, à la vigilance intense ?
Ici, la lumière est aussi ferme, aussi dure, aussi éclatante que les rochers. Mais il y a, jetés sur eux, ces velours, ces toiles usées, cette laine râpeuse. C'est toute la montagne qui s'est changée en troupeau, en bergerie. Tout est lié, tout se tient, tout tient ensemble, comme au premier jour. C'est pourquoi on est dans cet espace immense comme dans une maison qui vous accueille sans vous enfermer.
C'est ici qu'est né le jour, aujourd'hui.
Aucun doute ici n'a lieu. Tout est debout, tout est ferme et clair. Tout est calme.
22:52 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)