31/03/2018
Chant pour la lune
Mille ans ne sont rien pour un poème. La voix d'Omar Khayyam, ses chants Rubayat sont toujours neufs, comme au premier jour du monde, et le seront tant que la lune, nos coeurs et nos verres se lèveront; tant que nos lèvres sauront former les mots du désir et chanteront la simple et seule splendeur d'être vivant, ici et maintenant.
Chant 111 (édition de Sadegh Hedayat chez José Corti).
La lune a déchiré la robe de la nuit
Bois du vin maintenant; cela seul réjouit
Profite du bonheur; bientôt le clair de lune
sur notre tombe à tous rayonnera sans bruit.
09:20 Publié dans Omar Khayam | Lien permanent | Commentaires (0)
14/03/2018
Le Thor
Car le poème est aussi, souvent, l'assistant de la mémoire... un partage formel comme le relevait René Char...
Le poète recommande : " Penchez-vous, penchez-vous davantage." Il ne sort pas toujours indemne de sa page, mais comme le pauvre il sait tirer parti de l'éternité de l'olive.
... et de relever à chaque instant de son oeuvre ce défi dérisoire et magnifique, donner vie à l'éternité de l'infime et du fugitif, mouvement accompli entre autre dans Le Thor, poème de 1947.
Dans le sentier aux herbes engourdies où nous nous étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer, les guêpes n'allaient plus aux ronces et les oiseaux aux branches. L'air ouvrait aux hôtes de la matinée sa turbulente immensité. Ce n'était que filaments d'ailes, tentation de crier, voltige entre lumière et transparence. Le Thor s'exaltait sur la lyre des pierres. Le mont Ventoux, miroir des aigles, était en vue. dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d'un âge perdu souriait à nos jeunes larmes.
09:14 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)
03/03/2018
Combat
Parce que poète de langue française nous parlant d'outre-atlantique et des rives du St Laurent, le territoire poétique de Gaston Miron est mâtiné de mots dont le sens a été oublié dans nos contrées à la langue appauvrie... Avant lecture, trois définitions :
garrocher = lancer, jeter
maganer = endommager, abîmer, maltraiter
babiche = lanière de cuir
Le reste relève de la langue du combat, de la colère... le reste se passe de commentaires... le reste devrait être en nous à tout instant... pour que riment humanité et liberté.
Gaston Miron, extrait de Séquences, in L'homme rapaillé.
Vous pouvez me bâillonner, m'enfermer
je crache sur votre argent en chien de fusil
sur vos polices et vos lois d'exception
je vous réponds non
je vous réponds, je recommence
je vous garroche mes volées de copeaux de haine
de désirs homicides
je vous magane, je vous use, je vous rends fous
je vous fais honte
vous ne m'aurez pas vous devrez m'abattre
avec ma tête de tocson, de noeud de bois, de souche
ma tête de semailles nouvelles
j'ai endurance, j'ai couenne et peau de babiche
mon grand sexe claque
je me désinvestis de vous, je vous échappe
les sommeils bougent, ma poitrine résonne
J'ai retrouvé l'avenir
22:40 Publié dans Gaston Miron | Lien permanent | Commentaires (0)
09/02/2018
Sur le jadis (2)
Dans la minute d'absence qui sépare le réveil de la lucidité, une question reste accrochée aux sables d'un rêve... On regarde le ciel rose et les écharpes de neige soudées aux cheminées, on cherche une réponse, sachant fort bien qu'il n'y en a peut-être aucune... mais nous serons toujours plus sereins en écoutant une voix plutôt que le silence...
Surtout quand cette voix est celle de Pascal Quignard. Sur le jadis, chapitre 72, L'Achrone.
Le paradis est le temps antérieur au temps. Il est un lieu étrange qui est situé à l'ouest de l'Eden et dans lequel on rêve. Ce que nous transportons ? L'ombre de la nudité. Nous transportons le souvenir de corps plus anciens que le nôtre. Nous ne sommes que la trace vivante d'une scène qui n'est plus.
(...)
Le corps d'autrefois traîne son visage comme un sillage dans le temps. Une autre fois de visages erre dans les générations des hommes.
08:12 Publié dans Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2018
Supplique (1)
Qu'y-a-t-il de plus lucide que le doute ? La réponse que l'on donne à ce doute.
N'en déplaise à Vénus Khoury-Ghata, Le livre des suppliques prouve à chaque page que le secours est parfois dans les livres...
Tu guettes les couples dans les gares pour te repaître de leurs étreintes
poursuis les veuves dans les cimetières pour étancher ta soif de pierres et de désolation
erres à la recherche du quatrième mur pour t'y adosser
ta cohabitation avec les livres ne t'est d'aucun secours
du papier devant
du papier derrière
et la tendresse noyée dans l'encre
tu rêves d'incendies de forêts et d'automne gris comme dos de loup
pourtant l'air au-dessus de ta tête est d'une douceur à briser le coeur
23:25 Publié dans Venus Khoury-Ghata | Lien permanent | Commentaires (0)
09/01/2018
Les voeux du hasard
Surtout pas de résolution, s'affirmer et changer, poursuivre le chemin, franchir les ravins, vivre avec le vertige de vivre.
Surtout pas suppliques, s'ouvrir aux voix, les vivantes en rires et murmures, les défuntes qui nous parlent de la nuit et de la lumière.
Et chaque matin laisser l'une d'entre elles nous rendre force et paix.
Pour saluer 2018, ouvert au hasard, Claude Esteban, Morceaux de ciel, presque rien, page 127.
Belle vie à vous.
Ce sera
au petit matin, quand les oiseaux
commencent, il y aura
du vent, à peine ce qu'il faut de vent
pour que les feuilles bougent
très doucement
une femme dira, sens-tu
comme les jours fraîchissent, réchauffe-moi
et je reconnaîtrai
la voix et le sourire de cette femme et
ce sera comme si le matin s'attardait
dans une chambre
et qu'il n'y ait plus, tout un instant,
ni d'ombre, ni de malheur.
09:20 Publié dans Claude Esteban | Lien permanent | Commentaires (2)
29/12/2017
Un chant d'amour
Tout ce que vous lirez dans ce qui suit est absolument authentique et poigne le coeur. Et cela n'a peut être jamais été aussi bien exprimé que sous la plume de Gaston Miron.
Oui, tous les poètes, hommes et femmes, ont rendez-vous à l'aube, depuis la nuit des temps, avec une sereine désolée. Couple à la vie, à la mort... Jamais mariage de raison, et on ne parle même pas de passion : la poésie, autant dire la vérité nue, n'est que vitale nécessité... ça blesse autant que ça jouit, c'est un baume sur la vie, c'est un chant d'amour, ce n'est rien d'autre et c'est tout ce qui compte... L'amour, des êtres, des mots...
Ma désolée sereine, extrait de L'homme rapaillé.
Ma désolée sereine
ma barricadée lointaine
ma poésie les yeux brûlés
tous les matins tu te lèves à cinq heures et demie
dans ma ville et les autres
avec nous par la main d'exister
tu es la reconnue de notre lancinance
ma méconnue à la cime
tu nous coules d'un monde à l'autre
toi aussi tu es une amante avec des bras
non n'aie pas peur petite avec nous
nous te protégeons dans nos puretés fangeuses
avec nos corps revendiqués beaux
et t'aime Olivier
l'ami des jours qu'il nous faut espérer
et même après le temps de l'amer
quand tout ne sera que mémento à la lisière des ciels
tu renaîtras toi petite
parmi les cendres
le long des gares nouvelles
dans notre petit destin
ma poésie le coeur heurté
ma poésie de cailloux chahutés
08:54 Publié dans Gaston Miron | Lien permanent | Commentaires (0)
29/11/2017
Merveilles
Parfois la poésie s'appelle Valérie Rouzeau. Et l'on se rappelle que la poésie est vivante, elle est contemporaine, elle parle de vous, de nous, de la langue et des corps, elle retourne la vie, elle refonde les mots, elle est singulière, elle est lumière, elle émerveille.
Extrait de Va où.
Je pense aux personnes de merveilleuses à vie je pense à leurs coups de main je pense à leurs coups de pieds au soleil cou coupé et à baise m'encore je pense à leurs coups de reins je pense à leurs coups de dés
Je pense aux personnes qui me merveillent la vie d'hier à aujourd'hui et jusqu'au lendemain la merveille de leurs voix de leurs rires et chagrins je pense à eux longtemps je pense à eux très vite je pense à elles aussi je pense partout à lui
Je pense aux personnes dans ma vie merveilleusement je pense merveilleusement aux personnes de ma vie car je n'oublie personne personne et pas même moi je pense à tout le monde et m'y trouve comprise je pense à moi qui pense à vous et à merveille
08:57 Publié dans Valérie Rouzeau | Lien permanent | Commentaires (0)
09/11/2017
Lignes de vie
Nous parlerons ici d'un temps sans écrans, sans interface, sans virtualité. Où la seule vitalité de l'esprit ne pouvait s'exprimer que sur et via des supports simples et nobles. Un moment d'ennui ? Un besoin de distraction ? Papier, plume, encre, voix, entre autres s'offraient naturellement.
Henri Michaux nous entretient de ce temps, lui qui voyageait, écrivait, peignait, griffonnait sans relâche, emplissant les interstices de l'existence, inventant une langue, s'inventant par le geste, imposant à son imaginaire une ligne de vie par la création de lignes vitales.
Extrait de Lignes.
Alevins de l'eau nouvelle d'un sentiment qui point, parle, rit, ravit ou qui déjà par moments poignarde
Echappées des prisons reçues en héritage, venues non pour définir, mais pour indéfinir, pour passer le rateau sur, pour reprendre l'école buissonnière, lignes, de-ci, de-là, lignes,
dévalantes, zigzagantes, plongeantes pour rêveusement, pour distraitement, pour multiplement...en désirs qui s'étirent, qui délivrent.
Débris sans escortes, le réel déminé,
souris du souvenir indéfiniment se profilant à l'horizon de la page,
ou bien tracés légers d'avenir incertain.
D'aucune langue, l'écriture -
sans appartenance, sans filiation,
lignes, seulement lignes.
07:54 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/10/2017
Pour faire court...
Chapitre 14 de Sur le jadis de Pascal Quignard. Trois lignes, vingt-quatre mots, cela seul suffit parfois pour entamer une journée sous les auspices de la sérénité.
Les poissons sont de l'eau à l'état solide.
Les oiseaux sont du vent à l'état solide.
Les livres sont du silence à l'état solide.
08:50 Publié dans Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0)