13/09/2017
Pensées sous les nuages
Par essence, le poète est proche du ciel. Les silences et la densité qu'il insère dans ses mots puisent leurs origines dans la contemplation, d'un mur, d'un jardin, de l'horizon, et donc, souvent, du ciel. La lumière est sa compagne; que le soleil, les étoiles, les aubes et les couchants lui soient un temps dissimulés, et le voilà qui doute, s'interroge, intériorise cette absence, et nous la rend plus lumineuse que si un ciel d'été l'illuminait.
Philippe Jaccottet, première page de Pensées sous les nuages.
- Il est vrai qu'on aura peu vu le soleil tous ces jours,
espérer sous tant de nuages est moins facile,
le socle des montagnes fume de trop de brouillard...
(Il faut pourtant que nous n'ayons guère de force
pour lâcher prise faute d'un peu de soleil
et ne pouvoir porter sur les épaules, quelques heures,
un fagot de nuages...
Il faut que nous soyons restés bien naïfs
pour nous croire sauvés par le bleu du ciel
ou châtiés par l'orage et par la nuit.)
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02/04/2017
Dénouer
Puis, après avoir encore une fois confié aux fruits des sarments le soin de donner une mesure aimable aux aiguilles du temps, on ouvre Ce peu de bruits de Philippe Jaccottet, et ce qu'on y lit suffira pour peupler la nuit.
Mais je me redis une fois encore qu'il ne faudrait pas se tourmenter avant le temps, se laisser hanter par ce qui n'est pas encore, si menaçant, si imminent que cela puisse être.
Ecrire simplement "pour que cela chantonne". Paroles réparatrices; non pour frapper mais pour protéger, réchauffer, réjouir, même brièvement.
Paroles pour redresser le dos; à défaut d'être "ravis aux ciel", comme les Justes.
Jusqu'au bout, dénouer, même avec des mains nouées.
22:23 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
08/02/2017
La rose et le nuage
Oubliez le nuage baudelairien, observez le visage de Philippe Jaccottet... Vivant, parcheminé, portant sur sa peau même le récit d'une vie dédiée aux mots. Lui ont répondu, souvent, les fulgurances visuelles de notre monde. Admirable observateur, il s'en est fait le rigoureux traducteur.
Extrait d'Après beaucoup d'années, (où l'on entendra également en murmures la voix de Paul Celan).
Nuages roses, bientôt nuages de suie, comme tout feu. Dernière inflorescence, qui ne pèse ni sur l'horizon ni sur les yeux, dernière douce inflammation, incarnat laissé insaisi; la dernière de ce jour, ou de la vie.
La dernière rose, incueillie.
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01/05/2015
Une brassée d'air
Chaque matin, un poème. Affirmation de la lumière au revers de la nuit. La vie toujours neuve, en trois lignes ou trois pages posées sur la peau du jour.
Les compagnons de l'aube sont toujours moins nombreux, toujours plus intimes. Chaque saison les renforce et l'on se reconnaît jusque dans la buée de leur oeil. Pesée des mots qui deviennent nôtres.
Philippe Jaccottet, première Notes nocturnes dans le recueil Après beaucoup d'années.
Adossé, vermoulu,
à ce pilier à peine moins précaire,
j'aimerais ne plus délivrer que des paroles
qui éparpillent les toits
(car même un toit de paille pèse trop
s'il vous sépare du rucher nocturne).
Je ne veux plus des labyrinthes,
même pas d'une porte :
juste un poteau d'angle
et une brassée d'air.
Déliés les pieds, délié l'esprit,
libres, mains et regards :
alors le deuil nocturne
est entamé par en bas.
10:18 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
05/02/2015
Marque-page
Il faudrait se souvenir exactement pour quelle raison, dans le Cahier de verdure de Philippe Jaccottet, le marque-page était glissé sur ce poème-là.
Ou pas...
Une nuit, un matin, dans un train, au réveil, à Paris ou ailleurs, le marque-page avait demandé cette pause, pour éprouver sur la durée le corps d'un poème...
Comment il devient fragment même du lecteur, porte ouverte sur la trace d'une rêverie, méditation dans la pénombre...
On a vécu ainsi, vêtu d'un manteau de feuilles; puis il se troue et tombe peu à peu en loques.
Là-dessus vient la pluie, inépuisable, éparpillant les restes du soleil dans la boue.
Laissons cela :
bientôt, nous n'aurons plus besoin que de lumière.
07:34 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
08/09/2014
Vigie des roches
On ne lit bien, finalement, que ce qui réveille en nous une mémoire vive... on en retient le regard partagé, la mesure d'un monde qui nous rassure. Comme on ne vit bien que dans le droit fil d'une émotion retrouvée, reconnue, reçue, redonnée... Est-ce bien cela que veut dire Philippe Jaccottet, en se posant ici comme vigie des roches, à la vigilance intense ?
Ici, la lumière est aussi ferme, aussi dure, aussi éclatante que les rochers. Mais il y a, jetés sur eux, ces velours, ces toiles usées, cette laine râpeuse. C'est toute la montagne qui s'est changée en troupeau, en bergerie. Tout est lié, tout se tient, tout tient ensemble, comme au premier jour. C'est pourquoi on est dans cet espace immense comme dans une maison qui vous accueille sans vous enfermer.
C'est ici qu'est né le jour, aujourd'hui.
Aucun doute ici n'a lieu. Tout est debout, tout est ferme et clair. Tout est calme.
22:52 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
19/07/2014
L'humilité
Au coeur d'une montagne qui devait être lumière de glace et de grâce, d'ubac en adret il n'y a que le plomb d'un ciel qui mélange les saisons. Que faire sinon demander à un poète des sentes et des pentes de donner le "la" pour trouver raison au sein de la déraison ? Et apprendre, encore une fois, aux côtés de Philippe Jaccottet le sens du mot humilité.
Reçois ces images, reçois ces ombres, reçois ces fumées ou ce rien.
Tu regardes avec effroi tes mains changer,
tu es pris de vertige parce que bientôt manquera la grâce ou la force,
recueille donc...
Tandis que les pies couleur de damier volent de sapin en sapin sous la pluie légère, soulevée par le vent,
montre aux amis ces traces de fantômes...
22:27 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
17/04/2014
Croyances en italiques
Une bonne fois pour toutes : ne jamais lire un recueil de poésie comme on lirait un récit. Le recueil : dernier espace de liberté où toutes les portes sont ouvertes, toujours. Y entrer par la dernière ou la première page, peu importe : si poésie il y a, on la trouvera, elle nous trouvera. Ainsi, on pourrait lire encore une fois Cahier de verdure de Philippe Jaccottet en ne s'attachant qu'aux pages en italiques et en retenir ces quelques croyances.
Allez encore vers ces lacs de montagne qui sont comme des prés changés en émeraudes. Peut-être n'y boira-t-on plus, peut-être est-ce pour cela qu'on les voit maintenant. Il y a des émeraudes dans la montagne comme on y croise des bêtes fuyantes. Et le printemps est poussière lumineuse.
Des êtres jamais vus, comme assis sous des nuages dont le bord serait argenté par la lune.
Montagnes à contre-jour dans le matin d'été : c'est, simplement, de l'eau.
Que la poésie peut infléchir, fléchir un instant, le fer du sort. Le reste, à laisser aux loquaces.
00:03 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
30/12/2013
Une serpe de lait
Dans quelques pages des suppléments littéraires de 2014 on parlera sous peu de Philippe Jaccottet à qui un volume de la Pléiade va être consacré, rarissime honneur fait à un poète de son vivant. Pour l'heure il est compagnon d'insomnie, présence nocturne, apaisement par les mots.
Je garderai dans mon regard
comme une rougeur plutôt de couchant que d'aube
qui est appel non pas au jour mais à la nuit
flamme qui se voudrait cachée par la nuit
J'aurai cette marque sur moi
de la nostalgie de la nuit
quand même la traverserais-je
avec une serpe de lait
***
J'ai de la peine à renoncer aux images
Il faut que le soc me traverse
miroir de l'hiver, de l'âge
Il faut que le temps m'ensemence
04:53 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
13/11/2013
Lanternes
Il faut bien les accrocher ces lumières, telles celles de Jaccottet dans les pages de La semaison... Les tendre haut, bien haut, visibles, au fronton de nos vies, au revers de nos rêves, ces frêles lumières qui parlent d'un temps qui se meurt...
La difficulté n'est pas d'écrire, mais de vivre de telle manière que l'écrit naisse naturellement. C'est cela qui est presque impossible aujourd'hui; mais je ne puis imaginer d'autre voie. Poésie comme épanouissement, floraison, ou rien. Tout l'art du monde ne saurait dissimuler ce rien.
*
Les poèmes - telles de petites lanternes où brûlent encore le reflet d'une autre lumière.
Peut-être ne voit-on le rose du soir sur les murs qu'au plus froid de l'hiver ?
23:14 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)