03/04/2013
A la mémoire des poètes lamentables
Hier, le mot poésie a fait la une d'un grand quotidien national (Libération), quelle chance ! Malheureusement c'est M. Houellebecq qui en parlait. Et, comme souvent, ce triste provocateur dit des choses un peu bêtes, assénées comme de suprêmes vérités. Ainsi la poésie contemporaine serait lamentable et ne vaudrait rien à côté de celle du 19è siècle... Misère, voilà, en une ligne, un siècle d'écrits foutu à la poubelle !... Que dire, sinon redonner très vite la parole à l'un de ces poètes "lamentables", Henri Michaux par exemple, dans un extrait de Je suis né troué, et renoncer, encore une fois, à lire Libé...
C'est à gauche, mais je ne dis pas que c'est le coeur.
Je dis trou, je ne dis pas plus, c'est de la rage et je ne peux rien.
J'ai sept ou huit sens. Un d'eux : celui du manque.
Je le touche et le palpe comme on palpe du bois.
Mais ce serait plutôt une grande forêt, de celles qu'on ne trouve plus en Europe depuis longtemps.
Et c'est ma vie, ma vie par le vide.
S'il disparaît, ce vide, je me cherche, je m'affole et c'est encore pis.
Je me suis bâti sur une colonne absente.
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25/01/2013
Métiers délicats
Réflexions d'un poète sur quelques activités mineures que l'on ne saurait faire sans avoir été averti au préalable de leurs inconvénients majeurs et que, tout compte fait, il serait peut-être préférable d'éviter.
Rien n'indique que Henri Michaux ait pratiqué ces activités mais sa grande lucidité et son immense sagacité feront ici autorité.
La chemise de l'apiculteur pique.
***
Scaphandrier voulant saisir une épingle pleure ou tremble.
***
Vitrier nerveux sans cesse compte ses doigts.
***
Skieur au fond d'un puits.
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06/10/2012
Quelque part, quelqu'un
Vox Poetik a donc trois ans ce mois-ci. Fêtons cela sans cotillons, ni coups de tromblon. Pas de chansons non plus, mais quelques mots d'ici à vous, inspirés par Michaux : Quelque part, quelqu'un lit et relie des poètes à sa vie, quelqu'un vous les confie, quelqu'un a ses petites manies, quelqu'un est heureux que vous le lisiez et suiviez sa drôle d'histoire avec la poèsie, quelqu'un vous remercie...
Maintenant place à Michaux et à ces quelques lignes de son invraisemblable Quelque part, quelqu'un.
...Quelqu'un, il a plus de fleuves que d'île
Quelqu'un il a plus de barrage que de fleuve
Quelqu'un il a plus d'horizon que de barrage
Quelqu'un il a plus de savoir que d'horizon
Quelqu'un il suit plus la pente...
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14/06/2012
Homme de lettres
Un poète, c'est un totem. Tout le monde devrait s'en trouver un par les temps qui viennent. Un totem pour parler, pour écouter, pour être secoué, pour danser autour, et dormir et rêver dans ses mots... Un totem pour lever le poing, et gueuler et refuser, pour aimer la vie dans les grandes largeurs. Le totem de Vox Poetik, vous l'aurez déjà compris, c''est Henri Michaux. Voici son savoureux portrait (autoportrait ?) d'un Homme de lettres :
Seul,
être à soi-même son pain,
et encore, il s'engrange qu'il dit,
et pète par toutes les fissures.
En blocs, en larmes, en jets et en cristal,
mais derrière le mur des ses paroles,
c'est un grand sourd.
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05/02/2012
De l'utilité d'une postface
On ne les lit pas toujours, ou trop distraitement. On pense que l'écrivain, à fortiori un poète, a déjà dit l'essentiel et qu'il n'y aurait dans la postface qu'aimable redite. Que l'on se trompe ! Henri Michaux est là pour recadrer nos jugements.
Mes propriétés est une pierre angulaire de son oeuvre. Dès 1930 elle introduit toute la singularité de Michaux : en marge de toute école ou groupe, sa voix secoue, interroge et bouleverse la matière humaine. Textes fondamentaux pour le lecteur, ces pièces l'étaient également pour l'auteur qui leur adjoint en 1934 une postface, sorte de guide lecture, tout aussi nécessaire que le corpus principal. On y lit ainsi :
Ce livre, cette expérience donc qui semble toute venue de l'égoïsme, j'irais bien jusqu'à dire qu'elle est sociale, tant voilà une opération à la portée de tout le monde et qui semble devoir être si profitable aux faibles, aux malades et aux maladifs, aux enfants, aux opprimés et inadaptés de toute sorte.
Ces imaginatifs, souffrants, involontaires, perpétuels, je voudrais de cette façon au moins leur avoir été utile.
N'importe qui peut écrire "Mes propriétés".
C'est à cette lumière que l'on lira et relira encore l'essentiel Je suis gong.
Dans le chant de ma colère il y a un oeuf,
et dans cet oeuf il y a ma mère, mon père et mes enfants,
et dans ce tout il y a joie et tristesse mêlées, et vie.
Grosses tempêtes qui m'avez secouru,
beau soleil qui m'a contrecarré,
il y a haine en moi, forte et de date ancienne,
et pour la beauté on verra plus tard.
Je ne suis, en effet, devenu dur que par lamelles;
si l'on savait comme je suis resté moelleux au fond
je suis gong et ouate et chant neigeux
je le dis et j'en suis sûr.
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03/07/2011
Quelques notions de politique
La lecture, au hasard, de deux pages des Tranches de savoir de Henri Michaux offre parfois quelques échos aux tonalités politiques des temps que nous vivons. Qu'on les trouve justes ou pas, elles n'en sont pas moins savoureuses et font de Michaux un grand poète moraliste qu'on ne soupçonne pas toujours.
Qui chante en groupe mettra, quand on le lui demandera, son frère en prison.
***
Celui-là, avec sa vertu, il branle ses vices.
***
Tout va bien, dit le bourreau. La situation du malheur est prospère.
***
Même si c'est vrai, c'est faux.
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19/05/2011
Michaux heureux
Les temps sont troubles, les temps sont durs, une bouffée d'air est nécessaire. Il est surprenant de la trouver dans les pages de Michaux, elle n'en est que plus savoureuse. Dans un texte de 1967, Lieux, moments, traversées du temps, on le découvre léger, aérien. Peut-être est-il amoureux, la dédicace à Micheline Phankim, sa dernière compagne, le laisse penser, ce qui est sûr c'est qu'il est heureux.
La tête pleine d'aubes, j'avance poussant des portes sans battants.
Plus de lassitude. Arc-en-ciel de merveilles. C'est si beau le renouveau; le matin pense de partout. Est-ce possible ? Est-ce vrai ? Le mal, l'inquiétant, l'interminable mal, une nappe, une invisible nappe l'a fait disparaître.
Félicité ! Je n'ai plus à descendre.
Arrivée, une nouvelle arrivée. Le fleuve des arrivées s'écoule. Il n'y a plus que des arrivées.
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06/03/2011
Michaux et Celan
Quand en Avril 1970 Paul Celan met fin à ses jours en se jetant dans la Seine, Henri Michaux écrit Le jour, les jours, la fin des jours qu'il sous-titre Méditation sur la fin de Paul Celan. Il semble qu'il s'agit de la seule dédicace explicite dans l'oeuvre de Michaux. Il est certain que c'est l'un des plus saisissants portraits de l'absolue détresse qui emporte certains d'entre nous.
Sans qu'ils parlent, lapidé par leurs pensées
Encore un jour de moindre niveau. Gestes sans ombres
A quel siècle faut-il se pencher pour s'apercevoir ?
Fougères, fougères, on dirait des soupirs, partout, des soupirs
Le vent éparpille les feuilles détachées
Force des brancards, il y a dix huit cent mille ans on naissait
déjà pour pourrir, pour périr, pour souffrir
Ce jour, on en a déjà eu de pareils
quantité de pareils
jour où le vent s'engouffre
jour aux pensées insoutenables
Je vois les hommes immobiles
couchés dans les chalands
Partir.
De toute façon partir.
Le long couteau du flot de l'eau arrêtera la parole.
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08/12/2010
En passant par Bruxelles
En passant par Bruxelles, il faut se perdre au sixième sous-sol du Musée des Arts Royaux, qui a vraiment quelque chose d'un tombeau, et saluer Léon Spilliaert en pensant, pourquoi pas, à Henri Michaux :
Comme on détesterait moins les hommes s'ils ne portaient pas tous figures.
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28/11/2010
Michaux à Iquitos
Le 28 novembre 1928, Henri Michaux est à Iquitos, au coeur de l'Amazonie. De l'Equateur au Brésil il vient de traverser l'Amérique latine par la jungle, en pirogue, à cheval et à pieds. Rien de moins ! Il en ramène un journal de voyage, livre magique, essentiel, Ecuador, dans lequel on trouve l'un de ces plus beaux poèmes, Je suis né troué, confession brutale et fascinante du mal-être de l'homme occidental moderne...
J'ai sept ou huit sens. Un d'eux : celui du manque.
Je le touche et le palpe comme on palpe du bois.
Et c'est ma vie, ma vie par le vide.
S'il disparaît, ce vide, je me cherche, je m'affole et c'est encore pis.
Je me suis bâti sur une colonne absente.
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