08/07/2017
Un chant, ou le poème de la révélation
Que chacun, chacune, se remémore cet instant où une voix, un chant, une musique, une idée, un désir, une vision, un rêve... auront pris à revers le paquet des nerfs...
Dans le 33è poème de la 14è poésie verticale, Roberto Juarroz dit tout cela, et bien plus encore... Qu'est-il utile de rajouter ?
Un chant se retourne
et se verse en dedans.
Il touche le rêve de l'homme,
le labyrinthe fluvial de son sang,
la passion qui le harcèle,
le centre pèlerin de l'amour,
le pâle coin des absences.
Le chant le parcourt
comme le vol d'un oiseau.
Et subitement ce vol
se convertit en nuée
dans un ciel oublié.
Lorsqu'il surgit à nouveau,
la voix n'est pas celle qui chante.
Les mains chantent aussi,
la peau, l'homme entier,
son visage, son ombre.
Et tout se transmet :
l'infini chante.
Il ne sera plus nécessaire désormais
que le chant revienne à se tourner.
Désormais il est pareil
de chanter en dehors ou en dedans.
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17/03/2017
Le miracle et le miroir
On accordera aux poètes la seule preuve évidente de l'existence des miracles.
Vous lisez pensivement un recueil, écrit sur un autre continent, et des mots vous sautent au coeur : ce qui est écrit sur la page est votre portrait. Ces mots, vous voudriez les dire, ils sont en murmure dans votre nuit, ils sont en vous et soudain, les voilà, sous la plume d'un autre, dans la voix d'un autre...
Miracle... comment ne pas croire alors en la poésie, miroir universel de l'intime. Place au poème 31 de la quatorzième poésie verticale de Roberto Juarroz.
Quelquefois là n'est pas,
nous n'avons pas où déposer les choses
ni non plus où pouvoir les oublier.
Nous n'arrivons pas à faire de la place
et accumulons tout à l'intérieur
égarant enfin l'ordre et les signes.
Et nous portons ainsi l'univers sur nous,
avec un poids croissant,
un poids qui à la fin nous écrase.
A moins que quelque chose dans l'ombre nous rachète,
mette encore à nos côtés une place
et nous laisse simplement sortir.
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03/02/2017
Episode 303
Un temps a passé.
Quel temps ? Quel passé ?
Peu importe les jours, les tempes blanchissent, les rides cheminent, hier secrète demain, mais seul maintenant a la main.
La règle de Vox Poetik n'a pas changé : une pensée à laquelle un poète répond. "Je" n'a pas la parole, seule la voix du poète parle.
Et c'est Roberto Juarroz qui reprend le fil. Quatorzième poésie verticale, poème n°8.
On ne peut pas obturer le passé.
Tout robinet condamné
continue à goutter
l'ombre de ses gouttes.
Le passé goutte.
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29/04/2014
L'impossible
La lucidité... Qu'en disait René Char déjà ?
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
Alors, à quelle brûlure s'est donc exposé Roberto Juarroz, en composant le poème numéro seize de la douzième poésie verticale, et que nous nommerons ici L'impossible ?
Lorsque je manque de lumière,
la lumière me paraît impossible.
Lorsque je me trouve hors du poème,
le poème me paraît impossible.
Lorsque je cesse de te regarder,
tu me parais impossible.
Lorsque je perdrai la vie,
la vie me paraîtra impossible.
Et si je pouvais ne pas penser,
penser me paraîtrait impossible.
Du dehors d'une chose,
cette chose est impossible.
Et du dehors de tout,
tout est impossible.
Mais il y a une exception :
moi-même, du dedans,
je suis aussi impossible.
23:18 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
18/02/2014
Lettres vives
Allez savoir pourquoi un recueil s'impose soudain comme le totem d'une saison... Onzième poésie verticale de Roberto Juarroz est le ciment de cet hiver. Chaque page vient posément calfeutrer les interstices glaçés par le vent; chaque page rend hommage au nom de l'éditeur qui les a publiées en français, Lettres vives; chaque page délivre sa part de lumière au jour naissant et tous les matins deviennent argentins.
Une écriture qui supporte l'intempérie,
qui puisse se lire sous le soleil ou sous la pluie,
sous la nuit ou le cri,
sous le temps dénudé.
Une écriture qui supporte l'infini,
les crevasses qui s'étoilent comme le pollen,
la lecture sans pitié des dieux,
la lecture illettrée du désert.
Une écriture qui résiste
à l'intempérie totale.
Une écriture qui puisse se lire
jusque dans la mort.
09:18 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
10/01/2014
La voix vide
Le parquet grince, les enfants dorment, des arpèges, bientôt minuit... Un moment vient, fine ligne cerclant la nuit. Un moment de rien, mouvement ténu, clos et ouvert, traces de naissance et de fin. Tout en un, moment vertige, inabouti, impalpable... Seule la poésie peut le dire, et encore... faut-il aussi s'appeler Roberto Juarroz.
Une arête dans la gorge
peut évider la voix.
Mais la voix vide parle aussi.
Seule la voix vide
peut dire le saut immobile
vers nulle part,
le texte sans paroles,
les trous de l'histoire,
la crise de la rose,
le rêve de n'être personne,
l'amour le plus désert,
les cieux abolis,
les fêtes de l'abîme,
la conque brisée.
Seule la voix vide
peut parler du vide.
Ou de son ombre claire.
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02/01/2014
S'étonner du rien
L'âme adore nager, écrivait Michaux. Celle de Roberto Juarroz plongeait et volait, et revenait au monde nantie d'une poésie qui alliait la méditation à la sensualité du vide, mais peut-être est-ce la même chose... ? Poème 19 de la 11é Poésie verticale.
Veille de l'émerveillement,
postériorité de l'émerveillement.
Entre les deux durées
uniquement un trou.
L'imminence et son couchant :
rives du vide.
Rien que le temps suspendu.
Rien qu'une clairière
dans la forêt du temps.
C'est la plus pure clarté :
s'étonner du rien.
Le rien s'étonne du rien.
23:15 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
26/05/2013
Le brouillon d'un texte
Nouvelle plongée dans la Poésie verticale de Juarroz. Sous la pleine lune, petite musique métaphysique de la nuit, miroir du doute et de l'imperfection, portrait d'un homme fait de mots, hanté par les mots, ne pouvant demeurer que dans et par les mots... et au bout de la ligne de fuite, un ultime espoir.
Nous sommes le brouillon d'un texte
qui ne sera jamais mis au net.
Avec des mots rayés,
répétés,
mal écrits
et même avec des fautes d'orthographe.
Avec des mots qui attendent,
comme attendent tous les mots,
mais ici abandonnés,
doublement abandonnés
entre des marges droites et vides.
Il suffirait pourtant qu'une seule fois
ce brouillon maladroit soit lu à voix haute
pour que nous n'attendions plus désormais
de texte définitif.
00:16 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
14/10/2012
Etre présent
Face à la poésie de Roberto Juarroz, la place du commentaire est futile. Il s'avance avec sa métaphysique poétique portègne et faire silence demeure la seule posture viable. Méditer ensuite, en toute humilité. A nu, face à la nuit, le temps qu'il faudra...
Etre présent face à tout ce qui existe.
Et aussi face à son ombre.
Etre présent face à tout ce qui n'existe pas.
Et aussi face à son ombre.
Etre présent.
Ne rien demander.
Ne pas continuer à séparer les brebis.
Et dire un mot
qui soit aussi présent.
Comme son ombre.
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28/04/2012
L'essentiel
Nausée des discours à la pauvre syntaxe de magazine, des messages publicitaires, des injonctions mercantiles. Partout l'oeil achoppe sur des murs transformés en échoppes. Nos chemins urbains ne semblent plus être bordés que de biens marchands, postés là comme autant de leurres. Alors ? fermer les yeux ? Non, les garder bien ouvert, plus que jamais, relire Roberto Juarroz par exemple, et le suivre dans sa quête :
Le monde regorge
de fantasmes anodins.
Il s'agit de trouver les fantasmes essentiels.
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