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29/05/2014

Ciao Pirotte...

Jean-Claude Pirotte n'était jamais apparu dans ces parages mais il était de la famille... Parce que belge, parce que poète, parce que grand amateur de vins, et surtout pour nombre des pages de ces romans et recueils qui distillaient un lucide et touchant manuel de survie face au désenchantement du monde. Il était aussi une voix réconfortante pour celles et ceux qui ratent, peinent, mais toujours essaient, encore et encore, et finissent par rester debout, magnifiques et douloureux, dignes et droits dans leurs brisures.

Pour ces lecteurs et la mémoire de Pirotte, quelques lignes de La Légende des petits matins :

Ainsi chaque jour je me manque. Le convoi ne m'a pas attendu. Jamais je n'arrive à temps aux rendez-vous que je me fixe.

Mon pessimisme n'est pas une pose, il est la fleur navrée qui naît des amours de la solitude et de l'à-quoi- bon.

 

21/05/2014

Comme quelqu'un dans un poème

Dans Morceaux de ciel, presque rien de Claude Esteban, quelqu'un est un homme ou une femme, quelqu'un est poète ou vagabond ou danseur ou berger ou boulanger... Quelqu'un est tous les êtres de la terre, quelqu'un est en vie et ne veut pas que cette vie cesse. Quelqu'un doit nous accompagner, toujours.

Comme quelqu'un qui cherche à lire

et qui ne déchiffre plus les mots du livre

 

comme quelqu'un qui tend la main et toutes les mains

se détournent

 

comme quelqu'un qui a beaucoup marché

et maintenant il ne sait plus s'il doit faire halte

 

comme quelqu'un 

qui ressemble à ce qu'il n'est pas

 

et quelque chose se rebelle en lui

et puis s'apaise.

16/05/2014

Florilège du bleu

Nous portons tous en nous une trace de bleu, une touche de bleu et parfois nous ne le savons même pas. Nous l'avons sous la peau, nous la murmurons... Ses nuances tissent nos souvenirs, nos pleurs et nos rires. Miro. Klein. Tindersticks. Christophe... Traducteur consciencieux et délicat de cette matrice, Jean-Michel Maulpoix a renoué les fils invisibles qui nous lient au monde du bleu. Florilège des premières pages d'Une histoire du bleu.

Bleue est la couleur du regard, du dedans de l'âme et de la pensée, de l'attente, de la rêverie et du sommeil.

Nous rêvons d'une terre bleue, d'une terre de couleur ronde, neuve comme au premier jour, et courbe ainsi qu'un corps de femme.

Nous frottons notre peau dans la chambre contre la peau d'autrui, en quête d'une électricité bleue et de son bel arc de foudre.

On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tabler de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.

07/05/2014

Mouvements

On ne tient plus en place. Le corps a soif de mouvements. Le corps sort de sa coque de corps, explose. Mystères.

La vaste forêt demeure trop étroite. Et montagnes, encore trop plates. Alors on part dans le grand vent en pensant à Henri Michaux commentant les figures d'encre de Mouvements.

Course qui rampe

rampement qui vole

unité qui fourmille

bloc qui danse

(...)

Adieu fatigue

adieu bipède économe à la station de culée de pont

le fourreau arraché

on est autrui

n'importe quel autrui

On ne paie plus tribut

une corolle s'ouvre, matrice sans fond

La foulée désormais a la longueur de l'espoir

le saut a la hauteur de la pensée

on a huit pattes s'il faut courir

on a dix bras s'il faut faire front

on est tout enraciné, quand il s'agit de tenir

Jamais battu

toujours revenant

nouveau revenant

tandis qu'apaisé le maître du clavier feint le sommeil

02/05/2014

Les livres d'occasion

Les temps sont durs, mais n'abandonnez pas la lecture. Les livres : empruntez-les, donnez-les, laissez-les sur un banc. Pitié pour les libraires, ne les volez pas. Dernière option : suivez ce conseil de Erri de Luca. Il le donne au tout début de Trois chevaux, qui n'est pas un livre de poésie, mais peu importe. De Luca a l'âme d'un poète, c'est un homme droit, farouche et admirable. On peut l'écouter et lui faire confiance.

Je lis seulement des livres d'occasion.

Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d'un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis.

Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat. Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.

Ainsi, à midi, au bistrot, je m'assieds sur la même chaise, je demande de la soupe et du vin, et je lis.