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29/04/2014

L'impossible

La lucidité... Qu'en disait René Char déjà ?

La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.

Alors, à quelle brûlure s'est donc exposé Roberto Juarroz, en composant le poème numéro seize de la douzième poésie verticale, et que nous nommerons ici L'impossible ?

 

Lorsque je manque de lumière,

la lumière me paraît impossible.

 

Lorsque je me trouve hors du poème,

le poème me paraît impossible.

 

Lorsque je cesse de te regarder,

tu me parais impossible.

 

Lorsque je perdrai la vie,

la vie me paraîtra impossible.

 

Et si je pouvais ne pas penser,

penser me paraîtrait impossible.

 

Du dehors d'une chose,

cette chose est impossible.

 

Et du dehors de tout,

tout est impossible.

 

Mais il y a une exception :

moi-même, du dedans,

je suis aussi impossible.

 

17/04/2014

Croyances en italiques

Une bonne fois pour toutes : ne jamais lire un recueil de poésie comme on lirait un récit. Le recueil : dernier espace de liberté où toutes les portes sont ouvertes, toujours. Y entrer par la dernière ou la première page, peu importe : si poésie il y a, on la trouvera, elle nous trouvera. Ainsi, on pourrait lire encore une fois Cahier de verdure de Philippe Jaccottet en ne s'attachant qu'aux pages en italiques et en retenir ces quelques croyances.

Allez encore vers ces lacs de montagne qui sont comme des prés changés en émeraudes. Peut-être n'y boira-t-on plus, peut-être est-ce pour cela qu'on les voit maintenant. Il y a des émeraudes dans la montagne comme on y croise des bêtes fuyantes. Et le printemps est poussière lumineuse.

 

Des êtres jamais vus, comme assis sous des nuages dont le bord serait argenté par la lune.

 

Montagnes à contre-jour dans le matin d'été : c'est, simplement, de l'eau.

 

Que la poésie peut infléchir, fléchir un instant, le fer du sort. Le reste, à laisser aux loquaces.

09/04/2014

Au Café de l'Eternité

Délicat d'être poète, portugais et de faire fi de l'ombre tutélaire de Pessoa. Alors autant lui écrire, et tenter de nouer avec lui un improbable dialogue. Ce que fait avec justesse Nuno Judice depuis longtemps, et très explicitement dans un texte intitulé Pessoa, comme il se doit, et qui exprime, peut-être, une merveilleuse parabole du travail poétique.

Là où tu es, sans être jamais revenu de nulle part, sans volonté de partir là où tu n'arriveras jamais, parce que là c'est déjà hier, je te rencontre. Tu me demandes de m'asseoir : et tous deux, à la table d'un des cafés de l'Eternité, nous écrivons des lettres que jamais personne ne recevra.

 

04/04/2014

Le gardeur de troupeaux

De tous les êtres poétiques dans lesquels Fernando Pessoa s'est coulé, Alberto Caeiro, le Gardeur de troupeaux, est le plus touchant. Comme une fulgurance il a surgi dans la vie de Pessoa le 8 mars 1914, a bouleversé un citadin moderne poète et dépressif qui troqua sa gabardine contre des habits de pâtre et donna à son spleen une bienheureuse simplicité dont l'écho, un siècle plus tard, ne cesse de résonner.

Ce qu'il faut c'est être naturel et calme

dans le bonheur ou le malheur

Sentir comme on regarde,

penser comme on marche,

et au bord de mourir, se souvenir que le jour meurt...