30/10/2012
En mémoire de Jacques Dupin
Jacques Dupin n'est plus, disparu le 27 octobre... Dans son recueil Gravir, cette page, marquée d'une croix depuis longtemps :
Vigiles sur le promontoire. Ne pas descendre. Ne plus se taire. Ni possession, ni passion. Allées et venues à la vue de tous, dans l'espace étroit, et qui suffit. Vigiles sur le promontoire où je n'ai pas accès. Mais d'où, depuis toujours, mes regards plongent. Et tirent. Bonheur. Indestructible bonheur.
20:55 Publié dans Jacques Dupin | Lien permanent | Commentaires (0)
25/10/2012
Comprendre, enfin
Lire et relire le même poème, maintes et maintes fois, est comme s'abîmer dans la contemplation d'une face montagneuse. Au fil du temps apparaissent dans la roche de nouvelles lignes de faille, de nouvelles voies, jusqu'à ce que se dévoile la trace la plus simple. Ainsi ce soir la conclusion des Poèmes de Samuel Wood de Louis-René Des Forêts sonne comme la plus évidente des définitions de ce qu'est la vox poetik :
Une ombre peut-être, rien qu'une ombre inventée
et nommée pour les besoins de la cause
tout lien rompu avec sa propre figure.
Si faire entendre une voix venue d'ailleurs
inaccessible au temps et à l'usure
se révèle non moins illusoire qu'un rêve
il y a pourtant en elle quelque chose qui dure
même après que s'en est perdu le sens
son timbre vibre encore au loin comme un orage
dont on ne sait s'il se rapproche ou s'en va.
23:11 Publié dans Louis-René des Forêts | Lien permanent | Commentaires (0)
23/10/2012
Généalogie du verbe
Vous regardez une rue inondée de soleil, vous parlez dans le silence, vous arpentez votre mémoire, vous maintenez votre regard dans les contreforts de cette mémoire, vous cherchez parfois vos mots... Bernard Noël dans La chute des temps a parcouru ce même chemin :
tout ce que nous disons est l'écho
d'un mot passé d'un mot
qui voudrait achever aujourd'hui même
une chose autrefois commencée
nous voyons les mêmes étoiles que les morts
et l'odeur qui monte de la terre est le fantôme
de toutes ses fleurs
18:57 Publié dans Bernard Noël | Lien permanent | Commentaires (0)
20/10/2012
Le smoking de Maïakovski
A la mort de Maïakovski, René Char reçut, en souvenir, des mains d'Elsa Triolet le smoking du poète russe. Peut-être est-ce revêtu de cette tenue, et en mémoire de ce deuil, qu'il composa plus tard ces lignes que l'on trouvera dans La parole en archipel...
Nous avons en nous d'immenses étendues que nous n'arriverons jamais à talonner; mais elles sont utiles à l'âpreté de nos climats, propices à notre éveil comme à nos perditions.
21:45 Publié dans René Char | Lien permanent | Commentaires (0)
16/10/2012
Voici la terre nue...
Ce temps imparti, que nous traversons, passant, passeur, colporteur d'énigmes et de sensations... Rendons grâce à ceux qui le magnifient, qui nous le rendent intelligibles : ces poètes que nous croisons, qui sont nos pères et nos mères, nos frères et nos soeurs de coeur. De leurs mains nous saisissons l'étreinte, à leurs voix nous puisons les paroles qui nous manquent et de leurs passages dans notre temps, nous conservons des mots qui sont bien plus que des mots : des morceaux de vie plus denses, parfois, que nos vies. Le passant du jour est Antonio Ramos Rosa.
Quelqu'un écrit-il ? Quelqu'un saura-t-il énoncer les devinettes
scintillantes, dire les murmures, les taches mobiles
d'un seul corps libéré dans la claire confluence ?
Aucune parole ne peut dire la joie du vent.
Voici la terre nue de notre identité.
21:55 Publié dans Antonio Ramos Rosa | Lien permanent | Commentaires (0)
14/10/2012
Etre présent
Face à la poésie de Roberto Juarroz, la place du commentaire est futile. Il s'avance avec sa métaphysique poétique portègne et faire silence demeure la seule posture viable. Méditer ensuite, en toute humilité. A nu, face à la nuit, le temps qu'il faudra...
Etre présent face à tout ce qui existe.
Et aussi face à son ombre.
Etre présent face à tout ce qui n'existe pas.
Et aussi face à son ombre.
Etre présent.
Ne rien demander.
Ne pas continuer à séparer les brebis.
Et dire un mot
qui soit aussi présent.
Comme son ombre.
00:06 Publié dans Roberto Juarroz | Lien permanent | Commentaires (0)
13/10/2012
Esteban pour mémoire
De toutes les voix qui viennent en écho dans la mémoire de ces pages, celle de Claude Esteban impose un silence à nulle autre pareille. Ses mots sont ceux d'un homme ayant parcouru tout le chemin, et qui au dernier virage, près de la mer, nous laisse un message, nous laisse sans voix.
Je me suis projeté dans le jour
comme une pierre, j'étais
fou, je n'avais que ma tête pour
me défendre, la mémoire
d'un autre souffle pour avancer,
n'importe, il fallait
que la chair se précipite
vers sa blessure, qu'il y ait
cette fureur
clouée contre les épines
ce cri,
comme en éclats.
00:25 Publié dans Claude Esteban | Lien permanent | Commentaires (0)
10/10/2012
Braises
Philippe Jaccottet rejoint la table et y pose sa propre anthologie : heureux privilège de la vieillesse lucide que de pouvoir se retourner sur soi, contempler le chemin de mots et y faire son choix. Le titre est merveilleux, L'encre serait de l'ombre, et la matière, dense. Comme il est tard, voilà un des poèmes les plus brefs mais qui rappellera que le chemin, parfois, est douloureux...
Je marche
dans un jardin de braises fraîches
sous leur abri de feuilles
un charbon ardent sur la bouche
22:40 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
08/10/2012
Le dur besoin de durer
Paul Eluard pousse la porte et entre avec lui le temps du Livre ouvert. Froid, fumée, lumière blâfarde, éclairs de feu, chair évanouie. Un temps de guerre où le poème était traces vives pour survivre à la nuit. Milliers de mots parmi lesquels on pourrait choisir ceux-ci :
Je peux faire quelques pas
sans tomber je viens de loin
Je tiens ma vie en mes mains
tristesse et faiblesse ensemble
Pourrai-je prendre où elle est
l'apparence qui me manque
Sur les rives d'un visage
le jour la force éclatante
Le dur besoin de durer.
21:58 Publié dans Paul Eluard | Lien permanent | Commentaires (0)
07/10/2012
Emaz, le dimanche soir
Puisque fête il y a, ouvrons la porte pour une ronde qui durera le mois : toutes les voix qui ont traversé ces trois années reviennent les unes après les autres, à chacune son jour, à chacune son heure. Le dimanche soir sied bien à Antoine Emaz et à ses mots de peu, extraits de Poème serré, mots de doute, mots d'espoir, tous dotés d'une force à peine imaginable.
Quels mots
un peu trop près
cela bloque davantage
un peu trop lâche
cela ne change rien
on ne voit pas la force
elle serre ensemble
corps et mots
elle laisse démuni
-
dehors brûle seul
on cherche
des mots comme des clés
pour se défaire
dedans
et retrouver un calme
20:52 Publié dans Antoine Emaz | Lien permanent | Commentaires (0)