31/12/2012
Le secret de Jacques Dupin
Un autre extrait de Fragmes de Jacques Dupin. Le plus bouleversant peut-être. Quelques lignes où un homme, poète, semble livrer, délivrer, son ressort le plus intime : le lien charnel et sensuel qui l'unit à l'écriture.
C'est avec ce secret dévoilé que s'achève cette année. Pour la suivante, qu'elle vous soit, à toutes et à tous, vive, poétique et lumineuse.
Ecrire que tu étais moi, que tu étais nue, que je n'étais rien. que l'ombre d'un ceps, que le délié d'une lettre, que la fleur de givre sur le carreau... qu'une cicatrice inversée, une morsure éteinte... que l'ouverture et le fermoir, - que l'aube d'hiver et la nuit d'été - que la senteur du genêt sur le tumulus au bord du chemin, - que la même phrase à l'infini, reprise, biffée, répudiée - écrite...
00:24 Publié dans Jacques Dupin | Lien permanent | Commentaires (0)
26/12/2012
Ecrire
Tracer des signes, à peine ombres de soi, comme on descend à la mine extraire des roches une matière dont on ne sait que faire une fois remonté à la surface. Ecrire n'est parfois qu'avoir la seule sensation de ce geste, une expérience intime liant l'absolu à l'incertain.
Jacques Dupin, dans Fragmes, fouille cette expérience séminale et s'en fait le minéral transcripteur.
Ecrire depuis toujours, pour quelqu'un, pour personne, écrire pour les pierres... écrire pour un inconnu, pour un aveugle, pour un inconnu aveugle...âcre le résidu de ce brasier, de cette fumée, de ce jet de pierres vers l'autre, vers l'ombre de l'autre, vers cet inconnu qui attend. qui est là, qui était là, depuis toujours...
23:35 Publié dans Jacques Dupin | Lien permanent | Commentaires (0)
16/12/2012
Perros pour finir
Puisque nous avions entamé 2012 avec lui nous finirons cette année en compagnie de Georges Perros. Il est toujours bon d'achever une boucle avec cohérence et en bonne intelligence. Rouvrons ses inépuisables Papiers collés, le volume 3 par exemple, et comme toujours quelques fulgurances surgissent.
Il n'y a qu'une langue à traduire : la sienne. Reculer le plus longtemps possible les références. Trouver une parole de traverse.
*
Vivre avec un être aimé qui est mort. Le poème, c'est cela, avec les mots.
*
Poète celui qui nous force à lire mot à mot. Qui risque de nous dire l'essentiel, de nous dévoiler le monde, au coin d'un vers, d'une séquence, comme si de rien n'étaient ce vers, cette séquence. Venaient de rien.
21:18 Publié dans Georges Perros | Lien permanent | Commentaires (0)
10/12/2012
L'astre hors du fourreau
La plus belle posture du poète, sa superbe jamais égalée ? C'est peut-être celle de Philippe Jaccottet dans cette page : défendre un territoire, les mots, comme on défendrait son foyer face aux ténèbres douteuses qui envahissent si souvent notre monde; un foyer de lumière qu'il lui appartient de créer, une source qu'il nous appartient d'entretenir.
Bonheur désespéré des mots, défense désespérée de l'impossible, de ce que tout contredit, nie, mine ou foudroie. A chaque instant c'est comme la première et la dernière parole, le premier et le dernier poème, embarrassé, grave, sans vraisemblance et sans force, fragilité têtue, fontaine persévérante; encore une fois au soir son bruit contre la mort, la veulerie, la sottise; encore une fois sa fraîcheur, sa limpidité contre la bave. Encore une fois l'astre hors du fourreau.
23:54 Publié dans Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0)
04/12/2012
Continents noirs
Dans une salle du Musée d'Art moderne de Strasbourg, les formes noires d'Annette Messager surgissent de la pénombre et font une masse silencieuse sur la mémoire. Le temps se suspend et laisse une voix gronder, monter, surgir... Cette voix met un temps infini à se définir. Mais bien des jours après, on la reconnaît et l'identifie, c'est celle de Paul Celan et des premiers vers de Strette.
Porté
sur le terrain
avec la trace qui ne ment pas :
Herbe, écrite-séparée. Les pierres, blanches,
avec l'ombre des tiges :
Ne lis plus - regarde !
Ne regarde plus - va !
Va, ton heure
n'a pas de soeurs, tu es -
es de retour. Une roue, lentement,
tourne d'elle-même, les rayons
grimpent,
grimpent sur un champ noirâtre, la nuit
n'a pas besoin d'étoiles, nulle part
on ne s'inquiète de toi.
19:30 Publié dans Paul Celan | Lien permanent | Commentaires (0)